Savez comme je suis fou de nage synchro? Les gens de nage synchro aussi le savent et ont parfois le bon sens de s'en amuser. Toujours est-il que, pour financer une activité de leur fédé, j'ai été tiré comme prix de présence. Premier prix : une sculpture esquimaude made in China. Deuxième prix : un repas avec Foglia. C'est Mme Lamoureux qui a gagné. Pas folle, elle a refilé le cadeau à sa fille, Ève Lamoureux, membre du huit olympique canadien de nage synchro. Elle sera à Pékin, où elle retourne pour la deuxième ou la troisième fois...

Et c'est comment la Chine, Ève?

C'est beaucoup de poussière! C'est aussi beaucoup de tout petits arbres qu'ils viennent de planter pour faire croire que c'est des espaces verts. Et puis il faut aimer le riz et les viandes en sauce...

Voilà un portrait de la Chine, certes un peu court, mais qui rafraîchit agréablement comparé à celui des sinologues patentés. Ève étudie en sciences de la nature à Ahuntsic. Elle a 21 ans. Elle est magnifique, évidemment, l'aspect général est d'un top model, sauf pour les yeux. Elle avait le blanc des yeux rouge comme un lapin. C'est à cause à du chlore dans l'eau. Elle arrivait de l'entraînement :

Ils mettent décidément trop de chlore dans l'eau, s'est-elle excusée.

L'idée d'un lapin qui ferait de la nage synchro m'a mis de bonne humeur. Elle m'a trouvé moins vieux renfrogné qu'elle le craignait. Moi, je l'ai trouvée moins javellisée qu'on pourrait l'attendre d'une jeune fille qui, depuis toute petite, baigne dans une eau pleine de chlore de 7 h du matin à 13 h tous les jours, sauf le dimanche.

L'entrevue s'est déroulée avant son départ, dans un resto italien très couru de l'avenue du Mont-Royal. Je le souligne en passant, mes penne étaient dégueu, avec des bout de mortadelle cheap effilochés dans la sauce. On devrait interdire à ces gens-là de se prétendre Italiens, surtout s'ils le sont. Mais bon, c'est un autre sujet.

Je ne me souviens plus de ce qu'on s'est dit, sauf qu'on a parlé de Kundera, dont elle venait de découvrir l'ironie désenchantée. On a aussi parlé d'amour, notamment de la difficulté de garder un chum quand ont est athlète professionnelle, donc toujours, toujours à l'entraînement, couchée avant le téléjournal, pas d'alcool, pas de petit joint et, l'entraînement terminé, toujours à répéter les petits gestes de la chorégraphie. Arrête de faire ça, pourquoi tu fais ça? Tu m'énerves, bougonne le chum. Quand il est rendu à ce stade-là, c'est qu'il s'apprête à décrisser avec une coiffeuse (ou n'importe quoi qui peut sortir tard le samedi soir).

N'empêche que c'est une bonne question. Pourquoi tu fais ça? Pourquoi les athlètes d'élite (de n'importe quel sport) font ce qu'ils font? Pourquoi répètent-ils 12 millions de fois le même mouvement, se livrent-ils à de pénibles exercices de musculation, s'investissent dans des routines d'une totale abstraction? Pour une médaille? Ève ne gagnera pas de médaille à Pékin. Alors, Ève, pourquoi?

Entre autres choses parce que, avec le temps, la routine de l'entraînement, y compris la souffrance qu'elle suppose, devient un besoin.

Une drogue ?

Peut-être. Mon corps a besoin des endorphines qui viennent avec l'effort. On le fait aussi parce que ça a fini par déterminer ce qu'on est, même comment on se tient, comment on marche. J'aime le corps que me donne l'entraînement. On fait ça encore parce que c'est devenu notre cadre de vie, très rassurant. L'entraînement, c'est magique quand tu viens de te faire larguer.

On n'a presque pas parlé de nage synchronisée. Elle a bien tenté de m'expliquer les deux numéros que les Canadiennes présenteront à Pékin – un défilé de mode masculine et une illustration de l'astrologie chinoise. Mais franchement, je ne suivais pas. Je l'ai plutôt ramenée à Kundera. Elle était déçue que je l'ostine si peu. À la fin, je crois bien qu'elle s'ennuyait un petit peu, elle s'est inventé un rendez-vous avec le physio et m'a laissé seul avec mon tiramisu, un tiramisu, je m'excuse d'insister, qui est à la cuisine italienne ce qu'une finale en nage synchronisée est à une soirée au Royal Ballet à Londres.

Quoi d'autre? Ah! oui : au moment où vous lisez ces lignes, Ève est déjà à Pékin, d'où elle partira aussitôt la cérémonie d'ouverture terminée pour aller s'entraîner... en Corée.

Pour éviter la pollution?

Pour éviter surtout l'agitation du village.

La grand-maman et la maman d'Ève seront à Pékin. Sa maman qui, au fait, me doit toujours un repas, je dis ça comme ça, en passant...