Entre la présidentielle américaine et leurs bien-aimés Red Sox, les journaux de la grande région de Boston ont consacré ces dernières semaines plusieurs articles à la mort d'un jeune Brésilien de 25 ans, tué à bout portant par un policier de Yarmouth (Cape Cod).

Le Boston Globe et les petits journaux de Cape Cod ont décrit les événements tragiques, bien sûr, mais ils ont surtout fait état de l'indignation et de la colère de la petite communauté brésilienne locale.

Toute l'affaire commence par une banale interception d'un immigrant «sans papier» brésilien qui (selon la version policière) panique et tente de se sauver, et qui se retrouve avec une balle dans le coeur, tirée sous les yeux horrifiés de sa conjointe (la mère de leurs deux enfants).

On comprend aisément la réaction des immigrants du Massachusetts et des groupes sociaux qui les défendent. D'autant qu'il ne s'agit pas du premier dérapage policier dans cet État.

Immigration illégale en moins, l'affaire de Yarmouth ressemble à celle de Montréal-Nord.

En lisant les journaux du Massachusetts, il y a deux semaines, je n'ai pu m'empêcher de me poser la question suivante: si le jeune père de famille avait été un Bob Smith originaire de Cape Cod plutôt qu'un immigrant brésilien, le flic aurait-il tiré?

De retour de vacances en pleine tourmente à Montréal, la même question me trotte dans la tête depuis quelques jours: si Fredy Villanueva s'était appelé Frédéric Villeneuve, serait-il encore vivant aujourd'hui?

On ne le saura jamais avec certitude, mais à travers la casse et les déclarations incendiaires de part et d'autre, tout le monde aura compris que les tensions raciales sont vives entre les policiers et les jeunes de Montréal-Nord.

Ce n'est pas nouveau, d'ailleurs. Qui se souvient du rapport Bellemare, brique de 400 pages sur les relations entre la police et les minorités ethniques, commandé par la Commission des droits de la personne dans la foulée de l'affaire Gosset-Griffin? C'était en 1988, il a 20 ans.

Et le rapport Corbo, en 1993, ça vous dit quelque chose? Autre bilan et recommandations sur le même sujet, publié cette fois après une autre bavure de la police de Montréal (l'affaire Marcellus François).

Claude Corbo, alors recteur de l'UQAM, m'avait raconté à l'époque qu'un journaliste en manque de sensationnalisme lui avait demandé de but en blanc: «Pis, avez-vous trouvé du racisme à la police de Montréal?» La réponse du rapport Corbo était moins brutale que la question, mais il constatait déjà, il y a 15 ans, que «les Noirs se méfient encore beaucoup de la police car il arrive trop souvent des incidents qui les impliquent».

Revenant sur les commissions Bellemare et Corbo dans un éditorial daté de janvier 1993, ma collègue Agnès Gruda posait la question ainsi: «Doit-on conclure que rien n'a changé? Que nous sommes condamnés à cheminer de bavure policière en bavure policière, d'un exercice de bonne conscience à un autre?» Questions prémonitoires

Le criminologue André Normandeau, que l'on voit et entend partout depuis samedi (et qui siégeait au comité Bellemare), décrivait en 1993 le rapport Corbo comme «une réelle occasion d'avancer» dans une longue lettre ouverte à La Presse. Ironiquement, hier matin, La Presse a qualifié de «grand pas en arrière» la mort du jeune Villanueva.

Non pas que la police de Montréal n'ait rien fait depuis 20 ans pour améliorer ses relations avec les minorités ethniques. Au contraire. Mais une seule des balles tirées samedi sur Fredy Villanueva aura suffi pour ramener tout le monde à la case départ.

On peut refaire une commission d'enquête (une troisième en 20 ans), comme le réclament certains groupes et spécialistes, mais la source du problème est connue et documentée. La suite repose essentiellement sur la volonté politique. Non seulement la volonté de faire la lumière sur les événements de samedi mais, surtout, de freiner la ghettoïsation de certaines enclaves de Montréal.

Parlant de politique, il s'en fait beaucoup sur le cadavre du jeune Villanueva depuis dimanche.

D'abord par le maire Gérald Tremblay, qui a habilement braqué les projecteurs sur Québec, plutôt que sur sa propre administration, en réclamant une enquête rapide et transparente au ministère de la Sécurité publique.

Évidemment, que ça prend une enquête transparente, monsieur le maire, c'est l'évidence. Que l'on veuille savoir pourquoi et comment ce jeune homme est mort sous les balles de la police, c'est normal. Ça, c'est l'affaire d'une enquête criminelle. Mais savoir ce qui pourrit les relations entre une communauté et les autorités et, surtout, proposer des remèdes, ça, c'est la responsabilité du maire de Montréal.

Pas besoin d'un doctorat en sociologie pour voir que les graines de la révolte germent depuis quelques années déjà dans quelques quartiers chauds de Montréal. Criminalité, gangs de rue, violence, rejet de l'autorité, tous ces phénomènes ne naissent pas par génération spontanée. Ils prennent tous forme dans le même terreau: la pauvreté.

C'est vrai à Los Angeles. C'est vrai à Paris. C'est vrai à Toronto. Et c'est vrai à Montréal.

À force de se gratter le bobo des accommodements raisonnables ces dernières années, on a commodément oublié que la vraie nature des problèmes sociaux dans une grande ville comme Montréal n'est pas religieuse, mais économique.