Pour les Chinois, les Jeux devaient culminer jeudi soir à 21h45 dans le Nid d'oiseau. Alors serait donné le départ du 110 mètres haies. Alors Liu Xiang triompherait.

Les Chinois ont deux idoles. Yao, le géant qui joue au basket. Et Liu Xiang, plus jeune, plus détendu qui incarne la Chine moderne.

À Athènes, il y a quatre ans, Liu Xiang est devenu le premier Chinois à remporter une médaille d'or en athlétisme. Ce Chinois qui survolait les haies a été une des images les plus fortes des Jeux d'Athènes, annonçant la domination à laquelle nous assistons présentement.

Liu qui avait égalé le record du monde à Athènes se l'était approprié deux ans plus tard (12,88). Champion olympique, champion du monde à Helsinki et l'an dernier à Osaka, choisi le sportif de l'année en 2004, 2005 et 2006, Liu est devenu en Chine aussi grand que Yao qui n'est pas petit.

Le grand adversaire de Liu était un Américain, Terrence Tramell, mais pointait aussi un jeune Cubain, Dayron Robles et c'est celui-là qui, en fin de saison l'an dernier, infligeait à Liu sa première défaite à domicile, dans sa propre ville natale: Shanghai. En début de saison 2008, le Cubain avait même l'impudence de battre le record du monde Liu (12,87).

Voilà soudain que le ciel de Liu n'était plus aussi bleu, d'autant moins bleu que la rumeur courait qu'il était blessé et pourrait bien ne pas devenir les héros de «ses» Jeux.

La dernière fois que Liu a pris le départ d'un 110 mètres haies, c'était le 24 mai lors de la compétition mise sur pied pour inaugurer le Nid d'oiseau. Deux semaines plus tard, à New York, il déclarait forfait disant qu'il souffrait d'une «légère» élongation musculaire à la cuisse droite. Pas si légère il faut croire puisqu'il annulait tous ses engagements et qu'on ne l'a plus revu au départ d'un 110 mètres haies jusqu'à hier matin.

«Jamais, dans aucun sport olympique, un athlète n'a subi la pression que vit Liu en ce moment», pouvait-on lire dans le numéro olympique de la revue Sports Illustrated.

Hier matin, dans ce même Nid d'oiseau où il a couru pour la dernière fois en mai, Liu est réapparu pour les séries qui ne devaient être en principe qu'une formalité. Accueilli par une immense clameur, il commence à s'échauffer. Il passe quelques haies en les accrochant, grimace, s'agenouille, semble se masser le pied droit... le public a déjà compris.

Liu s'installe pourtant dans les blocs pour le départ. Prêts? Le coup de pistolet libère les coureurs suivi aussitôt d'un second. Faux départ. Faux départ ou non, Liu n'était même pas sorti de ses blocs. Il retire son dossard et s'éloigne vers le tunnel qui mène au vestiaire. C'est fini.

Son entraîneur, Sun Haiping, dira que Liu Xiang souffre de deux blessures, une à la jambe et l'autre au tendon d'Achille. Pour ce qui est de la Chine, c'est au coeur qu'elle est touchée. En un instant la nouvelle fait le tour de Pékin relayée par la télé, par la radio des chauffeurs de taxi, par la rumeur de la rue.

«J'ai presque pleuré», dit Pei Zhiqing, la balayeuse de la station de métro Sanyuanqiao. Son fils de 15 ans, qui regardait la télé avec elle, s'est levé et est sorti dehors sans rien dire.

Immense tristesse pour Wang Mengni, bénévole aux Jeux: «Il a gagné la première médaille masculine de la Chine en athlétisme, il est confiant, positif, il reste mon héros». Liu est aussi le héros de Zhou Jia, une adolescente de 14 ans: «ce n'est pas juste.»

Dominic, un Québécois rencontré dans la journée qui vit à Pékin depuis 12 ans et parle le mandarin, nous rapporte que seulement un Chinois parmi tous ceux qu'il a croisés dans la journée, un seul a osé avancer que Liu Xiang avait peut-être cédé à la pression et à la peur de perdre la face.

Dans la série précédente, l'Américain Terrence Trammell s'était lui aussi retiré sur blessure, ouvrant toute grande la voie au Cubain Dayron Robles pour la finale de jeudi dont des milliers de billets vont être à revendre. Pas chers.