Ça peut paraître bizarre, mais il y a une bonne nouvelle derrière l'histoire de la petite chanteuse pas assez jolie aux yeux d'un bonze du Parti communiste pour monter sur scène à la cérémonie d'ouverture des Jeux. La bonne nouvelle, c'est que des Chinois l'ont su, eux qui prennent de plus en plus la parole.

Non, on ne les a pas vus manifester, pancartes en main, dans les parcs de Pékin en faveur de la petite Yang Peiyi à la voix d'or.

Mais on en cause sur internet. Jeudi soir, sur le site de la chanteuse qui l'a remplacée, on pouvait lire plus de 300 commentaires d'internautes. Environ la moitié l'appuyait, l'autre trouvait anormal qu'elle se soit retrouvée sur scène, à la place de la petite aux dents de travers.

Parmi les commentaires, un internaute s'est plaint de la suppression de 38 pages de messages. Vendredi matin, on a pu constater que d'autres messages avaient été enlevés, éliminés, détruits... des messages qui critiquaient la présence de la «belle chanteuse».

Cette façon de procéder rappelle celle utilisée pendant les émeutes de Weng'an, dans la province du Guizhou, à la fin juin.

Rappelons les faits, hautement plus dramatiques que le cas des deux chanteuses. Le 21 juin, le corps d'une jeune fille de 15 ans est repêché dans une rivière du district de Weng'an. Trois jeunes qui étaient sur les lieux au moment du drame affirment qu'elle s'est suicidée. La police les croit et ils sont relâchés.

Mais la famille de la victime en doute. Un oncle va voir les policiers pour demander un nouvel examen et, sur le chemin du retour, des inconnus le tabassent.

C'est à partir de ce moment que les claviers d'ordinateur et les téléphones s'activent et que les rumeurs se répandent.

Un diplomate non canadien en poste à Pékin* a analysé ce qui s'est écrit pendant la crise sur le forum de discussion Tianya. Son compte rendu est fascinant.

Ainsi, selon le bruit qui circule, la victime aurait été violée et tuée par le fils d'un membre influent du Parti communiste. La police chercherait à étouffer l'affaire.

Les différents messages internet et par texto (sur les cellulaires) culminent par une émeute le 28 juin, où jusqu'à 30 000 personnes se rassemblent et incendient le commissariat et des voitures de police.

Rapidement, des images sont diffusées sur l'internet. L'agence officielle Xinhua publie une dépêche.

Mais le lundi matin, la censure frappe. «Weng'an disparaît des moteurs de recherche, les pages montrant les photos et les vidéos des troubles deviennent inaccessibles, tout comme la dépêche Xinhua de la veille», a constaté le diplomate.

Réaction des internautes : Pourquoi supprimez-vous nos informations ? Et ils remettent les mêmes messages sur le web. «Effacés, ils sont à nouveau publiés. Il s'écoule en moyenne un délai de 5-10 minutes entre l'apparition d'un message et sa suppression par les modérateurs, tandis que les internautes sont beaucoup plus rapides.»

Le lendemain, les censeurs capitulent et le président Hu Jintao fait une intervention sur le sujet.

La conclusion du diplomate concernant Weng'an : la société civile prend sa place en Chine. Chaque jour, dit-il au téléphone, elle repousse un peu la limite de ce qui, la veille, était encore interdit.

Le cas du lip-sync à la cérémonie d'ouverture ne provoquera évidemment pas d'émeute de 30 000 personnes dans les rues de la capitale. N'empêche, il s'agit d'un autre événement délicat pour le pouvoir, où des internautes prennent la parole peu importe ce qu'en pense Pékin.

*Comme l'ambassade du Canada est incapable d'offrir une quelconque entrevue pour expliquer la vision canadienne de la Chine, La Presse s'est tournée vers un diplomate d'un autre pays.