En entendant la nouvelle de la mort de Michel Vastel hier, une image m'est revenue, fraîche à ma mémoire comme si la scène s'était produite la semaine dernière.

Nous sommes dans un bled perdu au nord de la Saskatchewan, par une journée glaciale de novembre 2000, en campagne électorale avec le candidat de l'Alliance canadienne, Stockwell Day.

Journée de misère, gros rhume, envie de rentrer en ville, mais la caravane de ce bon Stockwell est coincée dans ce trou pour la nuit. La soirée s'annonce aussi excitante que le fast-food et la bière tablette que les gens de l'Alliance canadienne nous ont trouvés pour souper quand Michel me fait signe dans la salle de presse: Viens, on va boire un verre à ma chambre.

Je vois encore Michel sortir sa providentielle bouteille de pastis de sa valise et en verser deux rasades généreuses dans les petits verres à Coke de cet hôtel miteux.

Un coin reculé de Saskatchewan, moins 25 degrés avec le vent, la caravane paumée de Stockwell Day, et moi en train de siroter un p'tit Ricard en parlant de politique et de la vie avec ce vieux bougre de Vastel. Ça ne s'invente pas.

Je lui ai maintes fois rendu la pareille en apportant de bons bordeaux à bord des avions de campagne, que nous buvions peinards en jouant au Scrabble sur son portable MAC.

Chaque fois que je lui envoyais un mot de sept lettres, il me lançait, avec sourire en coin: «Salopard! C'est même pas un vrai mot!» Je le battais presque toujours au Scrabble, mais pour ce qui est de l'expérience politique, par contre, j'avais bien des croûtes à manger.

Pour moi, tout Vastel est là: un bonhomme qui aimait la vie autant que la politique, dont la mémoire n'avait d'égal que sa perspicacité, qui savait se faire plaisir et qui avait un solide sens de l'humour. Charmant, drôle, il s'intéressait profondément aux gens qui font de la politique, ce qui explique qu'il arrivait à les approcher avec tant de facilité. Et surtout à les faire parler.

En politique canadienne, c'était une légende, mais il ne jouait pas les divas comme certains de ses contemporains des journaux et des télévisions anglophones de la bulle d'Ottawa.

Évidemment, le bonhomme avait un style bien à lui. Il a toujours «sorti» de la nouvelle, comme on dit dans le milieu, et n'a jamais dédaigné que ça brasse. À Ottawa, le milieu politique avait même inventé un néologisme pour décrire ses méthodes. Quand un politicien passait à la moulinette de Michel, on disait qu'il avait été «vastellisé».

Un jour, dans les années 90, l'ancien président du Conseil du patronat, Ghislain Dufour, m'avait dit: «Toi, t'es le prochain Michel Vastel.»

Je ne suis pas le prochain Michel Vastel, pour la simple raison qu'il n'y a qu'un seul Michel Vastel. Il est parti hier avec le moule.

Je sais une chose, par contre, c'est que si je suis aujourd'hui chroniqueur politique, c'est en grande partie grâce à lui, parce que je l'ai côtoyé très jeune journaliste quand nous étions tous les deux au Soleil.

En plus de sa passion de la politique, et surtout son intérêt pour les gens qui font de la politique, j'aurais bien aimé qu'il me transmette le secret de sa phénoménale productivité.

Malheureusement, cette saleté de cancer ne lui aura pas laissé le temps d'écrire ses mémoires.