On s'en doutait depuis longtemps. Maintenant, on en a la preuve: en matière d'art et de culture, les conservateurs de Stephen Harper sont nuls, archinuls. Non seulement incompétents, inadéquats, incapables de formuler une politique culturelle qui se tienne, mais d'une dangereuse étroitesse d'esprit qui confine à l'anorexie mentale.

Les coupes de 44,8 millions aux arts de même que l'abolition de PromArt et de Routes commerciales, deux programmes qui favorisaient le rayonnement des artistes canadiens et québécois à l'étranger, sont la plus récente preuve de leur navrante incurie. Le drame, c'est que ce dernier épisode qui est en train de mobiliser toute la communauté artistique, à Montréal comme à Toronto, n'est qu'une goutte dans un océan de gestes hostiles à l'endroit du milieu culturel depuis que les conservateurs ont pris le pouvoir.

Pour s'en convaincre, on n'a qu'à se souvenir de la triste feuille de route de l'ex-ministre du Patrimoine, Bev Oda. Coupes dans le budget des musées nationaux, réductions paralysantes des fonds pour les tournées de danse à l'étranger, crise des festivals, crise des câblos et du fonds de télévision, mort des séries lourdes québécoises, sans oublier la rocambolesque crise du financement du cinéma québécois qui avait précipité à Ottawa un autocar de vedettes venues demander un fonds d'urgence de 20 millions que la ministre a promis, mais n'a jamais livré, forçant son homologue québécoise, Line Beauchamp, à sortir 10 millions de son chapeau en désespoir de cause.

Il y a exactement un an et une semaine, le départ de l'unilingue Bev Oda de Thunder Bay, remplacée par une francophone bilingue de Québec au Patrimoine, semblait de bon augure. Mais de toute évidence, Josée Verner ne comprend pas plus le rôle et la fonction de la culture dans une société que celle qu'elle a remplacée ni de ceux qui l'ont nommée au Patrimoine.

Jusqu'à maintenant, cette incompréhension doublée d'un parti pris idéologique pour la libre entreprise et contre la culture subventionnée n'a pas trop nui aux conservateurs, du moins pas auprès d'une partie de l'électorat. Tout dernièrement, par exemple, alors que l'abolition de PromArt faisait rager artistes et ex-ministres, un éditorial du National Post se réjouissait que le gouvernement cesse de financer les «junkets internationaux» d'une poignée d'artistes déjà trop subventionnés, ajoutant: si nos artistes produisent des oeuvres d'envergure mondiale, elles rayonneront d'elles-mêmes dans le monde, avec ou sans subvention.

Bref, selon cet éditorial tout à fait représentatif de la pensée conservatrice, c'est le marché et le commerce qui dictent le rayonnement d'une culture. Or, même si les adeptes de cette idéologie sont nombreux (surtout dans l'ouest du pays), ils ne représentent pas nécessairement l'ensemble de la population canadienne. Ainsi, selon un sondage réalisé l'hiver passé par la firme Innovative Research, 74% des Canadiens croient que les subventions dans les arts sont nécessaires afin de préserver le passé et l'histoire du pays. Au Québec, ce pourcentage atteint 79%.

À la lumière de ces chiffres encore chauds, pour peu que Stephen Harper déclenche des élections, le financement des arts risque ce coup-ci de devenir un enjeu de taille. Au Québec, les artistes n'auront aucun problème à convaincre l'électorat qu'ils sont les victimes d'un gouvernement inculte et barbare qui ne comprend rien à l'âme et à l'identité de la nation québécoise. Leur indignation n'aidera certainement pas Harper à se faire de nouveaux électeurs au Québec.

Ailleurs au pays, si l'opposition joue bien son rôle, Harper sera perçu comme un père Fouettard qui méprise sa propre culture et à la limite, sa propre identité. Pas très bon pour un gars qui veut se faire élire premier ministre du Canada. Mais que voulez vous, à force de sous-estimer la force vive des arts, non seulement on perd sa culture, on perd ses élections.