Mes enfants, prenez garde à la dangereuse virtualité de ce monde.

Je suis inquiet! Ces derniers mois, je vous vois basculer dans la dangereuse virtualité de ce monde.

Un, deux, trois écrans peuvent être ouverts sous vos yeux simultanément: Xbox, ordi, iPhone, télé et autres « bébelles » émettent sans relâche et à l'unisson d'insouciants gazouillis issus de votre monde virtuel.

Ces fenêtres embuées masquent une réalité et finiront par assombrir votre quotidien. Elles estompent les contrastes qui font de la vie une si plaisante surprise.

Vous surestimez votre cerveau en pensant que sectionner ainsi votre attention en tranches (20% à la Xbox, 20% à la télé, 40% à vos amis virtuels, 7% aux bruits ambiants, X% à vos études) n'aura pas d'impact sur votre vie future.

Votre insouciance n'a d'égal que l'appétit insatiable de ces multinationales qui font de vous des pourvoyeurs de revenus publicitaires, des fournisseurs de données juteuses desquelles d'ailleurs, vous ne toucherez pas un sou.

Évidemment, vous êtes le fruit d'une époque. Une époque où apprendre est un jeu non violent dont on anesthésie la douleur dès les premiers signes avant-coureurs. Une époque où la mémoire est un mot oublié, où les émotions se dessinent avec les lettres dont autrefois on faisait des phrases.

Mais moi, jeune chêne que je voudrais être, je souffre aujourd'hui de vous voir si loin de l'arbre.

Je crois sincèrement que ce plaisir n'est qu'un écran de fumée qui, quand il se dissipera, par choix ou parce que vos obligations vous rattraperont, laissera un stigmate indélébile sur votre pupille prématurément vieillie.

Pourtant, le jour où ces écrans de Damoclès tomberont, rassurez-vous : le paysage est super beau!

Vous découvrirez une forêt d'informations verdoyantes, odorantes, enrichissantes et même, croyez-le ou non, passionnantes.

La lecture, l'écoute profonde des bruits de la vie, qu'ils soient faits des malheurs ou du bonheur des autres, l'amour intégral (avec condom, mais sans écran), la compassion des amis (je ne parle évidemment pas des 800 qui composent votre monde...), la finesse des sons réels dont le dolby-HD-3D-sound-system n'est qu'une trompeuse caricature, sont autant de moments de vie qui doivent se vivre sans autres stimuli, à 100%.

Mais je suggère que vous vous inquiétiez un chouïa...

Le jour où ces écrans tomberont, votre cerveau jusque-là digitalisé subira bien des violences à tenter de se «réellifier». Je le crains.

Saura-t-il faire face à vos nouveaux besoins jusque-là anesthésiés?

Savoir lire sans s'essouffler après 140 caractères?

Savoir exprimer ses idées sans un lol ou un ;-) qui masquent un manque de temps sinon un manque de mots?

Savoir s'embraser pour des choses simples et personnelles sans ressentir le besoin de les publier pour mieux s'auto-stimuler au bonheur.

Savoir dire «j'aime» sans l'aide d'un clic froid et distanciant.

Savoir trouver du plaisir à souffrir pour comprendre.

Savoir mobiliser son esprit sans la crainte pavlovienne de rater l'écho d'un tweet.

Savoir se voir sans publier le film de sa vie dont vous regretterez, un jour, peut-être, son incontrôlable et inoxydable diffusion.

On ne refait pas un réseau neuronal comme on recâble un ordinateur.

Alors pensez-y et faites-vous votre propre idée.

Je peux et j'espère me tromper. Je suis comme vous. J'aime ces outils et, comble de tout, je vous diffuse ce message aussi par Facebook, père de ce désastre annoncé et selon moi, votre pire ennemi.

Mais pour que Facebook ne devienne le columbarium de votre âme, le fossoyeur de votre sommeil, levez le pied. Lâchez deux ou trois écrans, de temps en temps. Faites une pause. Faites juste rien, ou, pourquoi pas, juste une chose à la fois?

Je vous aime.