Comment réussira-t-elle à caser ses 75 chats rescapés ?    

Dans son refuge aménagé derrière sa maison, dans un joli rang de la Beauce, Annie s'occupe de ses petits protégés: 75 chats. Soixante-quinze rescapés qu'elle abrite, nourrit, soigne, fait vacciner et stériliser à ses frais, en espérant les faire adopter ensuite.

Ce n'est pas une mince tâche. Elle aura beau leur consacrer un site web et une page Facebook, vanter leur bonne santé, leur beauté et leurs prouesses, pour chaque chat qu'elle réussit à faire adopter, quatre ou cinq autres viendront gonfler les rangs de son armée de «petits amours», comme elle les appelle affectueusement.

Certains viennent d'arriver, d'autres sont là depuis plusieurs mois déjà, dans de grands enclos grillagés, où ils attendent qu'on vienne les chercher. Des orphelins nourris au biberon, des chats trouvés, d'autres dont les maîtres ne voulaient simplement plus. Et même un chat rose, probablement peint à l'aérosol par un imbécile qui ne savait pas trop quoi faire de son samedi soir.

Annie ne se décourage pas. En fait, je devrais plutôt dire: Annie se décourage rarement. Car il lui arrive de se demander comment elle réussira à tous les caser et, surtout, combien viendront se rajouter, semaine après semaine, à ceux qui attendent déjà. Et elle se désole du sort de ceux qu'elle ne peut sauver. Annie a le coeur grand comme un autobus et une patience infinie. Elle ne juge pas, même s'il serait facile de le faire devant les prétextes invoqués par ceux qui lui laissent cette marmaille sur les bras. Elle accueille ces «petits amours», sans poser de questions.

En quittant le refuge d'Annie, l'autre jour, je me demandais comment je pourrais l'aider au-delà de ce que je fais déjà. L'aider non pas à mettre la clé sous la porte définitivement, mais lui apporter un peu de répit, faire avancer les choses et lui permettre d'aller reposer sa tête et son coeur en se promenant tranquillement dans ses champs, avec sa chienne Molly, une autre rescapée. J'en suis venue à la conclusion que notre société, en plus de bien d'autres lacunes, manque de courage. Et je me demande maintenant qui aura le courage d'agir pour faire changer les choses.

Qui aura le courage de dire non au chaton dans la vitrine de l'animalerie et de se tourner plutôt vers un refuge? Qui aura le courage non pas de demander, mais d'exiger des lois pour punir sévèrement les abuseurs et pour réglementer le commerce des animaux de compagnie, traités comme de simples biens de consommation qu'il suffit de jeter lorsqu'ils sont encombrants ou ne nous plaisent plus? Qui aura le courage de se demander s'il veut réellement d'un chat ou d'un chien et s'il aura la capacité de s'en occuper correctement? Qui aura le courage de faire castrer son matou et opérer sa minoune pour ne pas contribuer au problème de surpopulation?

Annie aura beau avoir le coeur grand comme un autobus, il ne fait pas le poids devant l'irresponsabilité et l'égoïsme de notre société. J'entends déjà des gens protester, dire que les irresponsables sont une minorité. C'est faux. J'en suis venue à la ferme conviction que c'est le contraire, que seule une minorité agit de manière responsable vis-à-vis des animaux de compagnie.

Sinon, comment expliquer ces refuges qui débordent, ces statistiques inouïes qui font de nous, Québécois, les champions de l'abandon? Comment expliquer ces 500 000 abandons chaque année dans notre seule province, ces centaines de milliers de chiens et chats sains qui finissent euthanasiés, puis sont jetés à la poubelle comme de vulgaires ordures?

Et si nous prenions nos responsabilités, une fois pour toutes, au lieu de nous trouver sans cesse des prétextes et de nous comporter en égoïstes? Et si nous devenions réellement, et non en simples paroles, cette société avancée et respectueuse que nous nous vantons d'être, qui traite les humains et les animaux avec dignité?