«Maman, regarde! Il fait jour et il y a encore une étoile qui brille dans le ciel!»

«Maman, regarde! Il fait jour et il y a encore une étoile qui brille dans le ciel!»

Il est 6h45, un mardi, comme tous les autres depuis plusieurs mois. Maëlle est prête à partir. Elle salue son frère et sa soeur qui partent pour l'école. Pas elle. Elle prendra plutôt le chemin de l'hôpital Sainte-Justine afin de recevoir ses traitements de plasmaphérèse (échange plasmatique) en hémato-oncologie.

Maëlle n'est pas triste, mais heureuse d'aller retrouver ses infirmiers et infirmières qui prennent si bien soin d'elle plusieurs heures par semaine. Par contre, elle vous dira que les prises de sang lui font encore peur et qu'elle déteste par-dessus tout que l'on change le pansement de son cathéter qu'elle porte en permanence tout près du coeur. Valérie ou André viendront alors la rassurer.

Maëlle a 8 ans. Elle aimerait parfois redevenir un petit bébé et ne pas grandir. Elle nous dit souvent qu'elle n'aura jamais 10 ans et parle déjà de la mort. Maëlle nous explique le plus sérieusement possible que les bébés esprits existent et qu'ils sont adoptés au ciel par des «adultes esprits». C'est ainsi, selon notre fille, que la vie continue même lorsque les coeurs ne battent plus, là-haut, dans le ciel. Dans ces moments, mon coeur se fige.

Quand j'écoute parler notre fille de la vie et de la mort, quand je m'arrête à la gravité associée aux traitements de sa maladie chronique et que je récite des mots tels que myasthénie grave, immunosuppresseurs, anticholinestérasiques, plasmaphérèses, immunoglobulines, permacath, hypogammaglobulinémie, j'ai soudain le vertige et je me dis que ce n'est pas possible.

Comment en sommes-nous arrivés là? Je cherche des photos «d'avant» et je pleure. J'essaie de saisir le visage de Maëlle avant que notre vie de famille s'écroule, avant que les yeux de son frère et de sa soeur perdent quelques-unes de leurs étincelles. Seul le sommeil me permet de fuir cette réalité que j'apprivoise encore difficilement, je l'avoue, même un an après le choc du diagnostic.

Je rêve parfois que Maëlle est libérée de ses chaînes et qu'elle va à la chasse aux papillons, petite autiste fragile, comme avant, avec son frère et sa soeur, sans que je compte constamment les heures qui séparent la prise de ses nombreux médicaments, sans que je craigne que son cathéter ne s'infecte et qu'elle fasse de nouveau une septicémie, sans que je me sente si impuissante devant une maladie aussi rare que mystérieuse et imprévisible, la myasthénie grave.

J'ai alors l'impression de pouvoir respirer de nouveau, comme si l'air emplissait mes poumons pour la première fois. J'ouvre les yeux. Je suis à l'hôpital près de Maëlle qui attend patiemment la fin de son traitement pour ensuite aller retrouver ses amis de l'école, ses professeurs, ses surveillantes adorées (Mme Tremblay, etc.), jusqu'à la fin de la journée.

Elle est souriante et rayonnante. Elle entonne un air de musique et nous fait une petite danse que nous tentons de calmer en riant comme des fous, car elle est encore « branchée » à la centrifugeuse qui enlève le plasma de son sang. Son rire est contagieux et résonne dans nos têtes d'adultes, même si, depuis longtemps, je ris sans rire. Quelque chose est mort en moi, malgré moi.

Il est déjà 11h15 et nous quittons l'hôpital. Épuisée, Maëlle dormira durant tout le trajet qui nous mènera vers l'école. Enfin arrivée, sa journée de petite fille est bien entamée. Ce n'est pas grave pour Maëlle, car sa vie continue. La maladie n'est qu'un obstacle à contourner sur sa route, sans plus, et elle réussit à trouver un autre chemin sur la carte routière de l'enfance.  

Une fois Maëlle à l'école, je retourne chez moi. Juste avant de franchir le seuil de la porte de notre maison, je me retourne et je scrute le ciel. Je cherche la dernière étoile...