À travers la vie personnelle et professionnelle du politicien, François Gendron et Samuel Larochelle font revivre de vastes pans de l’histoire du Québec des 50 dernières années au cours desquelles il a côtoyé les grands noms de la politique québécoise et canadienne. Extrait.

De mémoire, c’est à la radio que j’ai entendu pour la première fois : « En Abitibi-Ouest, François Gendron, du Parti québécois, vient d’être élu. » C’était une première pour le parti dans ma circonscription, alors que le PQ vivait une situation sans précédent à l’échelle nationale avec 71 sièges et un gouvernement majoritaire ! Cette élection m’apparaissait comme un geste de confiance des électeurs plutôt que comme une manifestation d’amour à mon égard. Dans le temps, je n’étais pas encore très connu en région. Et n’oublions pas que j’étais engagé dans une bataille à trois avec le député sortant, le libéral Jean-Hugues Boutin, et le candidat du Ralliement créditiste, Roger Bureau. Cette situation m’a assurément permis de me faufiler entre eux, mais avec peu d’écart dans le nombre de votes : j’ai gagné avec 36,5 % des voix, soit 1224 votes d’avance sur M. Bureau, ma plus faible majorité en 11 élections.

Je me sentais, bien sûr, extrêmement fier, mais surtout porté par la vague nationale du PQ et par la victoire de notre chef, René Lévesque, qui avait enfin réussi à convaincre les gens de se faire confiance et d’arrêter d’avoir peur de nous.

Je pensais aussi que j’avais la chance de faire partie d’une extraordinaire équipe composée d’hommes et de femmes volontaires, pleins de visions et prêts à accomplir des gestes concrets pour faire avancer la société québécoise. Quand je suis arrivé à mon local électoral, à Amos, l’endroit était bondé de militants et d’amis ! Il y avait des centaines de personnes, autant en dehors qu’en dedans. Je serrais des mains, je donnais des accolades, et les gens chantaient. Tout le monde était électrisé par la victoire du Parti québécois. Ça n’avait pas de bon sens, la fièvre que je sentais autour de moi ! J’avais l’intérieur qui me chatouillait. Comme de raison, j’ai pris le temps de remercier sincèrement les militants et de célébrer aussi longtemps que possible avec eux, mais j’étais également attendu à La Sarre pour une autre fête, déjà en cours. Sachant que j’avais un trajet d’une heure à faire, un 15 novembre, avec des routes qui pouvaient être enneigées, je devais partir si je ne voulais pas arriver à la fin du party.

À l’hôtel Chabot, à La Sarre, l’ambiance était encore plus folle qu’à Amos ! Mon comité électoral avait loué le deuxième étage en entier. Il y avait tellement de monde que certaines personnes avaient peur que le plancher ne s’effondre.

Les propriétaires étaient rongés d’inquiétude, au rez-de-chaussée, en sentant et en entendant les vibrations alarmantes au deuxième. Ils ont même pensé appeler la police, mais l’escalier menant au deuxième était complètement jammé. C’était presque impossible de me rejoindre, des centaines de personnes festoyaient autour de moi. Les étreintes n’en finissaient plus. Vers quatre heures du matin, mes plus proches collaborateurs politiques célébraient encore à mes côtés, alors que ma femme était rentrée à la maison. Depuis l’annonce de ma victoire, elle vivait un déchirement intérieur légitime. Elle appréhendait l’isolement qui l’attendait lorsque je serais à Québec et durant mes engagements dans le comté, sans oublier le défi de conjuguer sa tâche d’enseignante à temps plein et l’éducation de nos trois enfants. Puisqu’elle enseignait le lendemain, c’était tout à fait normal qu’elle fête moins longtemps, ce soir-là.

Quant à moi, je suis allé chez un ami pour rejoindre un groupe de collègues de la Polyno de La Sarre, où j’enseignais depuis 10 ans : je leur avais promis de passer prendre un verre de cognac avec eux. Je suis allé là-bas peu après cinq heures du matin. Par la suite, alors que je me dirigeais vers ma demeure, j’ai vu plusieurs voitures stationnées et des lumières allumées chez mon voisin d’en arrière, Henri Salembier, que je connais bien. Immédiatement, j’ai imaginé qu’il s’était produit un malheur, alors je suis allé cogner à sa porte pour m’enquérir de la situation. Vous auriez dû voir sa fraise quand il m’a aperçu dans le cadre de porte ! Son visage exprimait une profonde inquiétude, non pas parce que quelque chose de grave était survenu, mais parce que le député sortant que je venais de battre était chez lui ! Je savais que M. Salembier était un organisateur libéral, sauf que je n’avais jamais pensé que Jean-Hugues Boutin, le candidat libéral défait, serait chez lui. Quand j’ai compris ce qu’il se passait, je me suis excusé et je lui ai juré sur mon âme, ma conscience et mes trois enfants qu’il n’avait jamais été question d’aller narguer mon adversaire. Bref, je suis reparti aussi vite que j’étais arrivé.

Une fois dehors, j’ai vu le soleil qui montait à l’horizon. Le temps était frisquet, mais la fraîcheur m’aidait à retomber sur mes pattes, après une nuit à fêter pas mal fort. Avant de rentrer me coucher, j’ai pris un moment pour apprécier la beauté de la journée qui se levait et la nouvelle direction que mon existence prenait.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

François Gendron – 42 ans de passion pour le Québec et ses régions, de François Gendron et Samuel Larochelle

François Gendron – 42 ans de passion pour le Québec et ses régions
François Gendron et Samuel Larochelle
Éditions Druide, mai 2021
400 pages