Depuis quelques années, le Canada a vu son influence décliner et les tensions monter avec les grandes puissances, écrit Jocelyn Coulon. C’est le résultat d’orientations prises par les gouvernements de Stephen Harper et de Justin Trudeau.

Le débat de politique étrangère au Canada a toujours opposé le courant internationaliste au courant continentaliste. C’est une fausse dichotomie car, sur certains aspects, les deux courants apportent leurs lots d’avantages et de désavantages, mais l’opposition entre eux a le mérite d’éclairer certaines tendances qui leur sont propres. Le courant internationaliste explique l’influence et la prospérité du Canada par son ouverture au monde et son respect des règles associées au multilatéralisme. Le courant continentaliste, pour sa part, explique la prospérité et la sécurité dont bénéficie le pays par son étroite relation avec les États-Unis. […]

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Canada a été, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, une des grandes puissances mondiales. À ce titre, il a participé à la construction du nouvel ordre mondial dont les fondements reposent sur le multilatéralisme.

La politique étrangère canadienne, qualifiée par certains analystes de diplomatie de l’espoir, est alors tournée vers la création et le renforcement d’institutions internationales productrices de règles et de normes en mesure de baliser les relations internationales.

Les premières décennies de l’après-guerre ont vu le Canada se construire une identité propre et bien distincte de celle des États-Unis. Il a été perçu comme un médiateur, un pont entre le Nord et le Sud, un acteur du désarmement, un promoteur de la paix avec la création des Casques bleus, un participant actif et loyal du système multilatéral, un État choisissant librement les conflits dans lesquels il s’engage (en Corée, mais pas au Vietnam).

Le Canada a tiré des bénéfices de cet activisme diplomatique. Il a été élu six fois membre non permanent du Conseil de sécurité, il est devenu membre du G7, son expertise en matière de désarmement et de maintien de la paix a été sollicitée et lui a permis de jouer un rôle important dans plusieurs forums, sa réputation en a fait un intermédiaire entre certains pays et les États-Unis.

Paradoxalement, ce fut au moment où sa réputation internationale s’est hissée au plus haut sommet que le Canada a approfondi son intégration économique, militaire et sécuritaire avec les États-Unis. Et ce fut à ce moment, au début des années 2000, que le courant continentaliste a pris le dessus et a imposé une nouvelle orientation.

L’option continentaliste, dont les accords de libre-échange nord-américains de 1993 et de 2018 sont l’expression la plus emblématique, parie sur la relation avec les États-Unis pour assurer l’existence et la prospérité du Canada.

Elle s’exerce dans des domaines aussi divers que le commerce, le mouvement des biens et des individus, les affaires militaires et sécuritaires, le droit, etc. Elle occupe, et c’est bien normal, le temps et l’énergie de nos élites politiques et économiques. En même temps, particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001, elle se trouve à détourner l’attention du Canada du reste du monde. Le peu de considération affichée par les gouvernements Harper et Trudeau dans plusieurs domaines de l’action internationale traditionnelle du Canada a eu des conséquences pour eux lorsqu’ils ont cherché à exercer un rôle et une influence sur la scène internationale.

La participation aux opérations de paix de l’ONU en est un premier exemple. Le Canada, inventeur des Casques bleus lors de la crise de Suez en 1956, a longtemps été le champion des missions onusiennes, au point où sa participation est devenue le marqueur le plus fort de l’identité internationale du Canada […]. La fin de la guerre froide a changé cette orientation. Elle a libéré des forces auparavant étouffées par la rivalité Est-Ouest, des forces qui ont provoqué des guerres civiles au sein de nombreux pays dans les Balkans et en Afrique et que le maintien de la paix classique s’est retrouvé incapable de contenir, d’où l’intervention de l’OTAN ou de coalitions multinationales aux mandats plus musclés destinés à imposer la paix.

L’ONU s’est retrouvée marginalisée au profit d’organisations régionales ou de sécurité. Le Canada a suivi le mouvement, mais à une vitesse grand V, au point où en quelques années le nombre de Casques bleus canadiens est passé de 3000 à pratiquement rien. Malgré la réforme de l’ONU, dans les années 2000, pour adapter au contexte actuel les opérations de paix et les rendre plus efficaces, le gouvernement Harper a refusé toute participation, et celui de Trudeau n’a rien fait pour se réengager sérieusement, sauf au Mali où il a déployé pendant un an, en 2018-2019, un petit contingent.

Au refus de participer aux missions de paix s’est ajoutée une étrange indifférence de la diplomatie canadienne envers l’Afrique. Il fut un temps où le Canada avait une présence bien visible et une certaine stature sur le continent africain. Il était apprécié pour sa générosité et le caractère détaché de son aide. Malheureusement, depuis une quinzaine d’années, son empreinte diplomatique, économique et militaire en Afrique s’efface lentement. Alors qu’une dizaine de puissances, grandes et moyennes – France, Chine, Inde, Turquie, Brésil, Japon, Allemagne, Corée du Sud et bien d’autres –, renforcent leur présence ou s’installent chaque jour un peu plus sur le continent, le Canada a fermé des ambassades, réorienté ses investissements vers d’autres régions, limité sa présence au sein des missions de paix en Afrique.

Cette absence de plus en plus remarquée sur un continent qui regroupe 54 États à l’Assemblée générale des Nations Unies s’est révélée lourde de conséquences lors des campagnes du Canada pour l’obtention d’un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies en 2010 et 2020.

Tout au long de leur mandat, Harper et Trudeau ont aussi laissé tomber la politique de prudence et de dialogue de leurs prédécesseurs au profit de positions dogmatiques et moralisatrices qui ont multiplié le nombre de leurs adversaires. […] Harper et Trudeau, contrairement à leurs alliés, ont refusé tout dialogue avec la Russie après l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014. Un tweet frondeur de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland sur les violations des droits de la personne en Arabie saoudite a gelé la relation et l’arrestation à Vancouver en 2018 d’une dirigeante chinoise de la compagnie Huawei, à la demande des États-Unis, a provoqué avec la Chine la plus grave crise diplomatique de l’histoire canadienne.

Chacun de ces épisodes rythmant la politique étrangère canadienne depuis une quinzaine d’années est en soi particulier et a sa propre dynamique, mais leur effet cumulé a soudainement révélé une vérité que l’on voyait se profiler : le déclin et l’effacement d’un certain Canada, celui de l’époque où son influence et sa réputation sur la scène internationale étaient démesurées par rapport à son poids réel dans le monde.

Le Canada à la recherche d’une identité internationale

Le Canada à la recherche d’une identité internationale

Les Presses de l’Université de Montréal, août 2021

216 pages