Les fêtes nationales ponctuent la vie des communautés. Si ces fêtes sont profondément inscrites dans les mœurs, elles restent un phénomène récent dans l’histoire. Cet ouvrage collectif retrace les origines et l’évolution de fêtes nationales du Canada français célébrées à quatre moments de l’année : autour du 24 mai, le 24 juin, le 1er juillet et le 15 août. Cet extrait porte sur l’avènement de la fête nationale du Québec.

« On est six millions, faut se parler » : chantée par François Dompierre, la ritournelle produite pour publiciser la bière Labatt 50 en 1975 cherche à exprimer l’esprit fraternel et familial des Québécois. Dans l’un des spots publicitaires, on voit de jeunes Québécois en pleine fête de la Saint-Jean. Torse nu, bouteille de bière à la main, fleurdelisé autour du cou ou à la ceinture… On s’imagine facilement les tam-tams, les feux de joie et la musique de Claude Léveillée ou de Robert Charlebois.

C’est aussi en 1975 qu’a lieu la désormais mythique Saint-Jean sur le mont Royal, à Montréal. Du 20 au 24 juin, plus d’un million de participants vont faire des spectacles qui s’y déroulent un évènement culte de la culture québécoise, entre autres par la prestation de Gens du pays, créée pour l’occasion par Gilles Vigneault. Pour faire oublier les violences de 1969, la fête nationale change de visage, et la publicité de Labatt l’illustre à merveille. Les défilés font maintenant place aux grands rassemblements populaires musicaux. Le symbolisme religieux est évacué. Les participants cherchent à être au cœur de l’évènement plutôt que de simples spectateurs. La question nationale, le débat sur l’avenir constitutionnel du Québec et celui sur le statut de la langue française viennent colorer les célébrations. Des personnalités du monde artistique comme l’acteur Jean Duceppe (en 1974) et l’animatrice de télévision Lise Payette (en 1975) président le comité organisateur à Montréal. Selon Marc Ouimet, l’ordre et l’imaginaire social des fêtes traditionnelles disparaissent au début des années 1970 : les « stylisations identitaires et historiques » laissent la place aux rassemblements populaires et artistiques.

Avec le développement de la contre-culture dans les années 1960, mais surtout avec l’émergence du néonationalisme et la montée du mouvement indépendantiste, le défilé de la Saint-Jean-Baptiste devient un lieu de contestation.

Les symboles phares du défilé, notamment le personnage du petit saint Jean-Baptiste, sont jugés rétrogrades et dépassés. Les défilés de 1968 et de 1969 donnent lieu à des échauffourées qui expliquent l’annulation du défilé à partir de 1970. La suspension du défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal amène une reformulation du vouloir-vivre collectif pour la population du Québec. Si les feux de joie et les feux d’artifice demeurent, des fêtes populaires comprenant des danses sociales, des pique-niques et d’autres activités en viennent à caractériser la façon dont la Saint-Jean-Baptiste est célébrée un peu partout au Québec dans les années 1970. Un festival de poésie a lieu à Québec lors des fêtes de 1970 à 1972. À Montréal, on organise un festival de danse en 1972.

Une fête mieux encadrée par l’État

À ces changements de valeurs s’ajoute la propension de l’État à mieux encadrer la fête nationale. C’est particulièrement le cas après l’élection du Parti québécois, en novembre 1976. Jusque-là, les initiatives gouvernementales concernant le déroulement et le financement des activités étaient limitées. Le Mouvement national des Québécois, les sociétés nationales qui lui sont affiliées et les Sociétés Saint-Jean-Baptiste doivent envoyer leurs demandes de financement aux députés et aux cabinets ministériels en espérant pouvoir profiter de fonds discrétionnaires. L’État souhaite voir les organisations s’autofinancer. Une loterie spéciale est ainsi lancée en 1975 par Lise Payette, alors responsable des fêtes à Montréal. Organisée en collaboration avec Loto-Québec et la Fédération des caisses populaires Desjardins, cette loterie appelée « La Québécoise » souligne en même temps l’Année internationale de la femme. Plus de 2 millions de billets seront vendus.

L’autofinancement, de l’aveu même des organisateurs, comporte de sérieuses limites. À la suite des festivités de 1975, Lise Payette propose que le gouvernement intervienne directement dans la mise en œuvre des célébrations de manière à en absorber les coûts. Cette prise de position irrite la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui y voit un risque d’ingérence et de politisation. Malgré tout, l’État québécois est de plus en plus présent dans les célébrations depuis le début des années 1970. De manière à répondre plus efficacement aux demandes grandissantes des organisateurs de la fête, le ministère des Affaires culturelles avait reconnu, en 1973, le Mouvement national des Québécois comme principal interlocuteur dans le dossier. Disposant d’une enveloppe budgétaire, le ministère compte utiliser ses antennes régionales pour distribuer les subventions aux organisateurs. Ce mode de fonctionnement pose toutefois problème puisque le ministère n’a pas de fonctionnaires dans toutes les régions du Québec, ce qui complique la répartition du financement.

Cherchant à faire de cette journée celle de « tous les Québécois », selon l’expression consacrée, le gouvernement québécois doit aussi avoir un œil du côté de la capitale fédérale, Ottawa, où les autorités entendent utiliser le 1er juillet pour contrecarrer le projet souverainiste. Le cabinet de René Lévesque, qui en est bien conscient, confirme le statut officiel de la fête nationale, augmente son financement et encourage la participation populaire.

Le gouvernement Lévesque souhaite officialiser et asseoir la célébration comme fête civique sur l’ensemble du territoire québécois.

Deux arrêtés en conseil viendront le confirmer. Le premier, daté du 17 février 1977, annonce l’intention du gouvernement de faire du 24 juin la fête nationale du Québec et place le dossier sous la responsabilité du cabinet du premier ministre. Il affirme la volonté de l’État d’aider à financer les célébrations au moyen d’une loterie spéciale de Loto-Québec. Cependant, cette aide est conditionnelle à la mise sur pied d’un comité de coordination composé des organisateurs et d’un représentant du cabinet du premier ministre et d’un autre du ministère des Affaires culturelles. De plus, le décret accorde 250 000 $ afin de rembourser le déficit des fêtes de 1976.

Le second arrêté en conseil, daté du 11 mai 1977, statue que la Saint-Jean-Baptiste sera désormais connue comme fête nationale des Québécois. Son adoption démontre nettement la volonté du Parti québécois d’inscrire la célébration à l’intérieur d’un cadre civique permettant d’affirmer l’identité québécoise pluraliste et laïque. Elle est donc conçue comme un puissant outil d’intégration cherchant à unir le corps politique.

Entre solitudes et réjouissances – Les francophones et les fêtes nationales (1834-1982)

Entre solitudes et réjouissances – Les francophones et les fêtes nationales (1834-1982)

Éditions du Boréal

Extrait du chapitre 4