Si j’avais à choisir un verbe pour incarner la transition écologique, ce serait aimer. Parce qu’aimer est un gisement inépuisable de volonté. Parce qu’aimer donne la force de passer par-dessus les obstacles. Parce qu’aimer relie.

Parce qu’aimer rend créatif. Parce qu’aimer est une énergie éternellement renouvelable et la plus puissante qui soit. Parce qu’aimer est universel. Parce qu’aimer fait coopérer. Parce qu’aimer donne espoir. Parce qu’aimer abat la peur. Parce qu’aimer nous rend responsables les uns des autres. Parce qu’aimer fait naître la bienveillance. Parce qu’aimer sait transformer. C’est l’amour, davantage que l’information, qui nous fait passer à l’action. Les rapports scientifiques sur l’urgence climatique, la sixième crise d’extinction des espèces, la pollution chimique et l’augmentation des inégalités sociales et économiques auront beau se multiplier, sans élan du cœur, le geste suit rarement la parole. Ou alors, superficiellement.

Nous avons incontestablement besoin de la science pour comprendre le monde qui nous entoure et prendre les bonnes décisions, mais l’amour est tout aussi important pour générer la volonté de se transformer. « We need a tough mind and a tender heart », écrivait Martin Luther King pour décrire l’attitude nécessaire selon lui pour gagner la lutte pour les droits civiques. « Nous avons besoin d’un esprit rigoureux et d’un cœur tendre. » Comme lui, je suis convaincue que la rigueur intellectuelle et la bienveillance sont indissociablement nécessaires pour transformer positivement la société. Il nous faut être à la fois lucides et solidaires, car il s’agit de deux forces complémentaires, pas contradictoires.

Le temps est venu de passer toutes nos décisions au crible de leurs conséquences sur l’environnement et sur la société de manière à revoir nos priorités avec rigueur et avec cœur.

L’éducation, le développement des connaissances, l’éco-citoyenneté et la culture sont de puissantes armes de construction massive. Elles permettent l’épanouissement des individus autant que des sociétés. Elles nous protègent contre les raccourcis intellectuels et les informations mensongères qui polluent nos esprits, nourrissant le cynisme autant que les préjugés. C’est ce que font les fake news, répandant la haine et la peur qui brisent les liens de confiance entre nous et à l’égard de nos institutions, pourtant essentielles à la protection du bien commun. Développer un esprit rigoureux est nécessaire pour protéger les individus et les sociétés contre la manipulation de dirigeants malveillants qui, à coups de messages ingénieux répétés inlassablement, parviennent à nous faire croire que ce qui est mauvais est bon et que ce qui est bon est mauvais.

Ce faisant, on en est même venus à légitimer un système qui permet que des contributions négatives à l’environnement et à la société se traduisent en profits ostentatoires pour une minorité, grâce à l’externalisation des coûts.

Et on résiste à des politiques publiques qui permettraient de transformer cette situation, comme l’application du principe du pollueur-payeur et l’abolition des paradis fiscaux, par exemple.

Cette confusion entre le positif et le négatif, le vrai et le faux, s’incarne dans la montée d’un populisme anti-protection de l’environnement et des droits humains, dont Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil sont peut-être les plus dangereuses figures de proue. Sans les outils intellectuels pour comprendre le monde et la place qu’on y occupe, même des gens de cœur peuvent être manipulés. Notamment par la peur du changement, même lorsqu’il en va de leur propre intérêt.

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Au Québec, il arrive fréquemment que l’on s’entende dire « le monde est petit » en réalisant que l’on connaît les mêmes personnes au sein de cercles pourtant très différents. Il y a en effet peu de degrés de séparation entre chacun de nous. Par quelques personnes interposées, il est possible d’atteindre par un lien personnel un individu en prison autant qu’un grand dirigeant politique ou économique, tout comme n’importe quel artiste, juriste, employé d’usines, scientifique ou autre. Comme les pays scandinaves, nous avons une petite population partageant une langue, une culture commune et disposant de leviers collectifs sur un territoire bien délimité. Lorsqu’une bonne idée circule et qu’on en fait un projet de société, il est possible d’opérer de grands changements rapidement, comme nous l’avons vu lors de la Révolution tranquille. Nous sommes tricotés serré tout en ayant de la place pour intégrer de nouveaux arrivants. Nous avons le cœur et la rigueur nécessaires pour assumer nos responsabilités à l’égard des autres humains de la Terre, de nos enfants et de tous ceux et celles qui suivront.

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Renforcer les liens, c’est aussi arrêter d’opposer l’individuel et le collectif. Le privé et le public. La raison et l’émotion. La liberté et la responsabilité. Le court terme et le long terme. L’environnemental et l’économique. C’est s’ouvrir à la complexité. On réalise alors que tout est lié parce que nous sommes l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit, les sols qui nous nourrissent et les relations sociales qui nous fabriquent. Depuis toujours et pour toujours. On ne le répètera jamais assez. Ces liens de solidarité sont notre plus grand pouvoir d’action pour transformer la société, mais aussi pour réduire notre vulnérabilité face aux dangers que l’on ne parviendra pas à éviter. Les sociétés les plus solidaires sont les plus résilientes.

Le temps est venu de faire de la transition un projet de société qui inscrira le Québec dans l’avenir du monde plutôt que sa destruction. Nous pouvons nous inspirer des bernaches qui se déplacent en V lors de leurs vols migratoires pour profiter du tir d’aile des unes et des autres. Leur destination est claire et elles savent coopérer. À tour de rôle, elles prennent les devants, tirant les autres derrière elles, comme chacun de nous sommes appelés à le faire pour la transition. Parce que c’est aujourd’hui que nous choisissons ce que sera demain.

PHOTO FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

La transition, c’est maintenant : Choisir aujourd’hui ce que sera demain, Laure Waridel, Écosociété, 2019, 376 pages.