L’auteure dédie ce conte, basé sur une histoire qui lui est réellement arrivée, à un homme simple et généreux qu’elle chérit dans son cœur

Dans un monde tranquille vivait une communauté de petits animaux. Au creux d’une vallée proche d’une rivière se trouvait une auberge chaleureuse dirigée par Dame Raton-laveur, aux yeux brillants et attentifs. Des souris de campagne y occupaient des chambres ensoleillées et deux petites souris de laboratoire, un peu éclopées, y avaient trouvé refuge. Un vieux hamster, abandonné par sa famille d’humains, y vivait également depuis un bon moment. Il était un peu grognon, parlait peu et boitait parfois. Il s’appelait Monsieur Émile.

Maïva, une souris de campagne dodue, et son amie Niflette, une survivante des laboratoires, dégustaient paisiblement dans le salon un bon café, accompagné de petits biscuits au gingembre… leurs préférés ! Dehors, la neige tombait doucement, les lumières de Noël récemment installées brillaient et une atmosphère douce et enjouée se diffusait partout. Les deux amies décidèrent alors de mettre leur bonnet et leurs mitaines et de se promener. En sortant, elles croisèrent Monsieur Émile, le vieux hamster. Il grogna quelques mots et les ignora. Maïva lui jeta un regard rempli de jugement. Niflette plissa ses petits yeux rouges et ajusta ses lunettes de soleil, puis demanda à Maïva :

— Quelle belle journée ! ! ! Mais pourquoi tu n’aimes pas Monsieur Émile ?

— Bah, il grogne tout le temps ! Et on raconte qu’il aime beaucoup les jeux d’argent…

— Mais tu sais, il a été abandonné par sa famille d’humains, il doit être un peu amer, non ? souligna gentiment Niflette en fronçant son petit museau moustachu

— Changeons de sujet !

Les deux amies trottinèrent joyeusement en oubliant Monsieur Émile. Elles se rendirent au marché de Noël et admirèrent les étals remplis de mets et de jolis présents. Sur la grande place, une chorale de tamias chantait des airs de Noël. L’un d’eux cachait une petite noisette dans sa bajoue et il fit une fausse note en s’étouffant avec. Les deux souris rigolèrent avec cœur.

Les jours s’écoulèrent et le temps des festivités approchait. Il rendait parfois certains pensionnaires isolés mélancoliques. Monsieur Émile, lui, avait le regard éteint et se promenait seul autour de l’auberge.

Il tenait un petit balai et enlevait régulièrement la neige des marches de l’escalier de l’entrée. Un jour, Dame Raton-laveur le croisa et lui fit un petit sourire. Monsieur Émile la vit, pencha la tête et poursuivit son travail.

Dans la soirée, l’auberge s’anima. Les habitants préparaient le souper et chacun avait ses propres goûts. De bonnes odeurs de soupe et de ragoût flottaient dans l’air. Dame Raton-laveur s’approcha de Maïva, qui terminait la cuisson de son plat en se léchant les moustaches et lui demanda discrètement de venir manger avec elle et un ami. Intriguée, la petite souris prit son assiette avec elle et la suivit. Elle salua Flocon, le petit mulot, grand ami de Dame Raton-laveur, et attendit silencieusement. Dame Raton-laveur nettoya ses petites pattes en forme de mains humaines et dit :

— Je vous ai invité à table avec moi pour vous demander conseil, car votre jugement compte beaucoup pour moi.

Maïva gigota nerveusement et sa longue queue s’enroula autour d’un des pieds de sa chaise.

— Bien sûr, avec plaisir, si on peut vous aider ! Qu’est-ce qui vous tracasse ?

— Vous connaissez Monsieur Émile, le hamster ? Je sais qu’il parle peu et qu’il n’est pas très avenant. Je connais son histoire d’abandon et je suis aussi au courant de ses problèmes de jeux d’argent… soupira Dame Raton-laveur.

— Oui, on le croise souvent, et effectivement, il grogne plus qu’il ne parle, renchérit Maïva un peu tendue.

— Et donc, mes amis… il ne paie plus sa chambre depuis deux mois et je ne sais plus quoi faire… J’hésite entre lui demander de quitter l’auberge ou lui laisser encore une chance, avoua Dame Raton-laveur d’un air dépité.

— Il faut le mettre dehors sans plus attendre ! répliqua sèchement Maïva.

Dame Raton-laveur haussa un sourcil d’étonnement face à la réponse de son amie mais ne répondit pas. Ils terminèrent ensuite leur souper en discutant d’un sujet plus léger.

Le jour de Noël arriva et les habitants de l’auberge le célébrèrent entre eux. Maïva offrit un assortiment des meilleurs fromages ainsi que la collection complète des « Aventures de Frisson la Roussette, l’écureuil intrépide » à son amie Niflette. L’histoire de Niflette l’émouvait toujours : prisonnière dans un laboratoire scientifique, les humains utilisaient la pauvre souris blanche pour des expériences qui faisaient souffrir la douce Niflette. Une nuit, aidée par le chat de l’immeuble, elle réussit à s’échapper pour ne plus jamais revenir. Dame Raton-laveur l’avait ensuite recueillie et remise sur pied. Maïva, elle, avait grandi avec sa famille de souris des champs dans un endroit paisible. Le goût de voyager l’avait menée sur le chemin de l’auberge.

Entre Noël et le jour de l’An, Maïva prit froid et combattait une mauvaise grippe.

Un soir, elle réussit à se traîner jusqu’à la cuisine et s’assit sur un tabouret. Sans énergie pour se faire à manger, elle regardait les autres qui s’affairaient pour préparer leur repas. Un sentiment de solitude l’habitait et elle allait sombrer dans ses pensées tristes quand atterrit soudain devant elle une surprise : une belle assiette de sauté de courgettes au fromage d’où émanait un merveilleux fumet !

Éberluée, Maïva se retourna pour voir qui était cette si gentille et talentueuse cuisinière. Elle fut encore plus surprise quand elle vit… Monsieur Émile !

Il la regarda avec douceur et bienveillance, lui souhaita bon appétit et s’éclipsa sans lui laisser le temps de répondre. La petite souris, honteuse d’avoir si mal jugé le hamster, dégusta lentement son repas et en savoura chaque bouchée. Ce jour-là, elle reçut une belle leçon d’humilité et se promit de ne plus jamais juger aussi rapidement les gens, bien consciente qu’elle possédait ce défaut jusqu’alors.

Un soir, revenant d’une réception un peu trop arrosée de jus de framboise, Niflette et Maïva entrèrent dans l’auberge et trouvèrent Monsieur Émile dans le salon qui regardait une émission de télévision. Les deux coquines le saluèrent gentiment avant d’aller se coucher. Mais ce que Maïva et Niflette ignoraient, c’est qu’en fait Monsieur Émile veillait. Il n’allait jamais se coucher tant que les deux petites souris n’étaient pas rentrées saines et sauves. Il était un peu ainsi leur ange-gardien.

Maïva eu l’occasion de le remercier. Elle lui offrit un cadeau, une belle robe de chambre couleur turquoise afin de le garder au chaud. Elle se promit de ne jamais oublier cette histoire et de toujours garder Monsieur Émile, le gentil hamster, dans son petit cœur de souris !