Depuis des mois et des mois, le gouvernement Couillard se fait malmener sur toutes les tribunes. Les syndicats, les organismes communautaires, le monde de la santé et de l'éducation, sans compter les partis de l'opposition, ont dénoncé sans relâche les mesures d'austérité libérales.

Et pourtant, le sondage CROP-La Presse publié jeudi a montré que le Parti libéral du Québec (PLQ) restait bien en selle et que le résultat des élections partielles ne se traduisait pas dans les intentions de vote globales. Avec des appuis de 38 %, un gain de deux points par rapport à novembre, les libéraux dominent confortablement leurs adversaires péquistes, à 25 %, et caquistes, à 23 %.

Mais un autre sondage, celui de Léger, publié samedi dans Le Devoir et Le Journal de Montréal, raconte une tout autre histoire, plaçant libéraux et péquistes coude à coude, à 30 %, avec les caquistes pas loin derrière, à 26 %, ce qui donnerait une lutte à trois dont le Parti québécois (PQ) sortirait gagnant.

En résumé, CROP conclut que le PLQ devance le PQ de 13 %, tandis que pour Léger, il n'y a pas d'écart.

Il est rare que deux sondages diffèrent autant. Encore plus que cela arrive deux fois de suite, car on retrouvait aussi ces différences en novembre.

Cela tient au fait que, selon CROP, les appuis au PLQ sont restés stables en novembre et en décembre, tandis que ceux du PQ ont chuté de cinq points, de 30 % à 25 %. Et ce que dit l'enquête de Léger, c'est que les appuis au PQ n'ont pas baissé et sont restés stables, à 30 %, et que c'est plutôt le PLQ qui a perdu cinq points !

Les adeptes de la théorie du complot y verront un reflet des affinités naturelles des deux sondeurs, CROP étant plus proche des fédéralistes et Léger, des souverainistes. Mais la sociologue Claire Durand, spécialiste des sondages, qui s'est penchée sur ces résultats ce week-end, rappelle dans son blogue qu'il est arrivé que les estimations de CROP pour le PLQ soient plus basses que celles de Léger. Elle note aussi que, depuis deux ans, « les deux firmes avaient des estimations tout à fait similaires jusqu'aux deux derniers sondages ».

Sur Twitter, Jean-Marc Léger a défendu les résultats de sa boîte en se demandant « comment le vote PLQ peut-il être stable depuis 2014 quand il a subi la pire raclée aux élections partielles du 5 décembre ? ». Ce à quoi Mme Durand répond : « Quatre partielles dans des comtés spécifiques ne représentent pas la population. » Il faut en effet rappeler que les taux de participation étaient très bas - 43 % dans Arthabaska, 25 % dans Marie-Victorin, 33 % dans Saint-Jérôme et 29 % dans Verdun.

Ce que conclut Claire Durand dans son blogue ? « Une seule solution pour le moment : prendre son mal en patience et attendre les prochains sondages. »

Serait-il possible que le Québec ait le même problème que partout ailleurs, lors du Brexit, de la présidentielle américaine, des primaires des Républicains en France, et qu'on ait du mal à saisir l'air du temps, à décoder ce qui se passe sur le plancher des vaches ?

L'enjeu n'est pas vraiment de savoir qui gagnerait les élections si elles avaient lieu cette semaine, mais bien davantage de décoder l'état d'esprit des citoyens. Le gouvernement Couillard est-il affaibli par ses politiques impopulaires ou, au contraire, trouve-t-il, malgré les conséquences pénibles de l'austérité, un certain appui dans la population ?

C'est ce que permet de conclure le sondage CROP, où les intentions de vote sont favorables aux libéraux, mais aussi où 48 % des répondants estiment que le Québec va dans la bonne direction, ce qui m'apparaît élevé dans les circonstances, et où le taux de satisfaction reste faible mais stable, à 40 %.

Un autre indice, que l'on retrouve dans les deux sondages, appuie cette thèse. Le Québec compte deux formations politiques qui occupent le terrain du centre droit, le PLQ, plus conservateur depuis que Philippe Couillard le dirige, et la Coalition avenir Québec (CAQ). Ces deux partis ont de nombreux points communs, notamment le contrôle des dépenses, la gestion serrée des finances publiques, l'élimination du déficit.

Ces deux partis recueillent 61 % des intentions de vote selon CROP, 56 % selon Léger. Dans les deux cas, cela représente une solide majorité qui constitue, à mon avis, le « mainstream » québécois, le courant politique dominant.

Et c'est là qu'on pourrait trouver un élément d'explication à la chute des appuis au PQ que décèle CROP. Le chef péquiste Jean-François Lisée a été très clair dans son désir de rapprochement avec Québec solidaire. « Nous avons entendu les Québécois qui souhaitent que les forces progressistes se rapprochent afin de battre les libéraux », rappelait-il encore dans son bilan de fin d'année.

M. Lisée se retrouve ainsi du mauvais côté de la barrière et s'éloigne du terrain où se retrouve une très solide majorité de Québécois. En oubliant qu'une bonne partie de sa base électorale est plus à l'aise avec François Legault qu'avec Amir Khadir.