Quand, en 2013, le réputé économiste américain Lawrence Summers a relancé l'idée que nous traversons une période de stagnation séculaire, il a créé du remous. Certes, admettait-on, il y avait bien passage à vide, mais de là à parler de croissance anémique durant une période prolongée, c'était faire preuve de dramatisation indue.

Pourtant, même si l'expression reste taboue pour les décideurs, l'économie mondiale, et en particulier la nord-américaine, ne semble pas très loin du monde peu emballant décrit par Summers.

La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine a révélé que la moyenne mobile de la variation du nombre de prêts commerciaux et industriels était devenue négative. Comme l'a noté Éric Corbeil, économiste principal chez VMBL, pareille situation coïncide historiquement avec des périodes de récession aux États-Unis.

Cette fois-ci sera peut-être l'exception, mais elle survient au milieu d'une saison qui fait suite à trois trimestres d'affilée de croissance réelle inférieure à 1,5 % et au moment où l'indice combiné des décideurs d'achats manufacturiers et non manufacturiers est tout juste au-dessus de la barre de 50 qui représente le point de bascule entre croissance et décroissance.

La faiblesse des prêts aux entreprises reflète leurs réticences à investir pour augmenter ou bonifier leurs capacités de production. On le sait déjà, les investissements sont en baisse aux États-Unis, tout comme au Canada, et pas seulement dans les segments industriels liés aux ressources en général et aux hydrocarbures en particulier.

La semaine dernière, Statistique Canada nous a appris que le taux d'utilisation de la capacité industrielle avait diminué au deuxième trimestre. Cela n'est pas vraiment une surprise puisque l'activité économique réelle a reculé de 1,5 % durant la période.

Le taux général de 80 % cache cependant des différences importantes entre les industries. 

Ainsi, rien d'étonnant à ce que le taux d'utilisation soit de 73 % dans l'extraction pétrolière.

Par contre, il y a de quoi s'inquiéter quand celui de la production de machines est de 71,6 %, en baisse de 9,1 points depuis un an. Cela illustre le peu d'entrain des autres segments à investir.

Dans certains cas, on peut se demander pourquoi. Ainsi, le taux d'utilisation atteint 93,5 % dans le matériel de transport, une augmentation annuelle de 6,3 points. Comme plusieurs usines d'assemblage d'autos ont fermé quelques semaines au printemps pour des travaux de maintenance ou de réoutillage, on peut présumer qu'elles fonctionnent désormais à plein rendement.

Des taux d'utilisation de 95 % sont aussi observés dans les produits du bois et du papier. Cela est dû au fait que bien des capacités ont été détruites depuis le début du siècle, soit à cause de la crise de l'habitation dont les États-Unis se remettent à peine, soit à cause de l'effondrement de la demande mondiale de papier journal dont le Canada, et le Québec surtout, était un fabricant de premier plan.

Les pénibles négociations canado-américaines en vue d'un accord sur le bois d'oeuvre ne sont pas de nature à stimuler des investissements dans cette industrie.

Ce qu'il y a de fâchant, c'est qu'elles ne sont qu'une autre manifestation, une de plus, du protectionnisme américain.

À l'échelle mondiale, le protectionnisme progresse beaucoup plus vite que les accords de libre-échange depuis le début du présent cycle.

Ce que les données récentes montrent, c'est que les États-Unis, ceux-là mêmes qui veulent, en paroles du moins, conclure un accord global avec l'Union européenne et un partenariat transpacifique, sont le fer de lance des initiatives de protectionnisme durant cette période.

Pour le Canada, c'est une bien mauvaise nouvelle, compte tenu de l'importance stratégique de ce partenaire commercial et en dépit de l'Accord de libre-échange nord-américain qui endigue les réflexes protectionnistes de nos voisins.

Il n'existe pas de tel accord avec la Chine et le Royaume-Uni, deuxième et troisième clients du Canada. À elles deux, ces puissances économiques ont adopté presque autant de mesures protectionnistes que les États-Unis.

Dans un tel climat, on comprend un peu mieux pourquoi les entreprises canadiennes sont moins enclines à investir, quitte même à ne pas rester concurrentielles chez elles face à des compétiteurs étrangers moins hésitants. Voilà qui s'appelle jouer avec le feu.

Et malgré tout ce qui précède, il faut aussi tenir compte du vieillissement de la population qui agit comme une entrave naturelle à la croissance.

Cela ne signifie pas forcément que nous vivons une période de stagnation séculaire, mais ça lui ressemble de plus en plus, non ?

infographie la presse

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