La première chose que l'on entend en arrivant à Clacton-on-Sea, ce sont les mouettes dont les cris nous accompagnent partout, de la gare ferroviaire jusqu'à la longue jetée que bordent des manèges déserts.

Cette station balnéaire a connu ses jours de gloire dans les années 60 et 70. Depuis, elle a perdu beaucoup de son lustre. Un centre de villégiature qui pouvait accueillir jusqu'à 10 000 vacanciers par saison a fermé ses portes au milieu des années 80. À Clacton, on l'évoque encore avec nostalgie.

Les vols à bas prix vers des destinations plus ensoleillées, comme l'Espagne ou le Portugal, ont contribué au déclin de la bourgade de 55 000 habitants, située à une heure et demie de train de Londres.

Les touristes viennent encore, mais ils « campent dans des caravanes, cuisinent leurs propres repas et repartent en laissant leurs déchets derrière eux », maugrée le chauffeur de taxi Tim Warner. Bref, on est loin du tourisme haut de gamme.

Au contraire, depuis quelques années, la ville accueille des Londoniens incapables de soutenir le coût de la vie dans la capitale. Parmi eux, de nombreux retraités. Mais aussi une population fragile, vivant de subsides gouvernementaux.

« Autrefois, Clacton était un petit paradis, aujourd'hui, Londres nous envoie des drogués et d'anciens prisonniers, et il y a de plus en plus de crimes », dit John Bullock, un travailleur en services sanitaires qui partage une bière avec ses copains au Moon & Starfish, populaire pub jouxtant la promenade du bord de mer.

Les crimes violents ont augmenté de 14 % depuis un an dans la région, et c'est à Clacton que le problème est le plus aigu, confirme le journal local, Clacton Gazette, qui attribue cet inquiétant phénomène à l'afflux de gangs venus de Liverpool.

Il y a deux ans, elle a envoyé à Londres le tout premier député du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni, l'UKIP, qui a pour principal objectif de rompre les liens avec l'Union européenne.

Aujourd'hui, sa population affiche l'un des taux les plus élevés d'appui au Brexit de tout le Royaume-Uni.

« Moi, c'est OUT », m'ont dit la majorité des gens rencontrés hier dans cette ville qui a été surnommée « Clacton-on-Poverty », tant ses indicateurs sociaux sont déprimants.

Salaires plus bas que la moyenne nationale, taux de chômage et d'assistance sociale plus élevés, la ville abrite une population plus âgée qu'ailleurs : 42 % de ses habitants ont plus de 65 ans. Marchettes, cannes et béquilles sont omniprésentes au centre-ville.

Traditionnellement, l'appui au Brexit est plus important chez les personnes âgées. Mais à Clacton, le fossé des générations joue peu.

« Les vieux réussissent à s'organiser, mais les jeunes se sentent perdus, il n'y a rien pour eux ici », dit Jacky Steers, qui dirige le Centre de ressources communautaires à Jaywick, en banlieue de Clacton.

« Ne cherchez pas d'emplois à Clacton, il n'y en a pas », tranche Mohammed Khan, conseiller du district de Tendring, qui a été élu sous les couleurs de l'UKIP.

LA FAUTE À L'UE

Ici, jeunes et vieux perçoivent l'Union européenne comme la principale cause du déclin de la ville. Un pouvoir lointain, abstrait, qui impose son carcan mal adapté aux besoins locaux.

Les premiers à se plaindre de Bruxelles sont les pêcheurs, dont l'industrie périclite.

« Il y a 10 ans, il y avait 40 pêcheurs sur la côte de l'Essex, nous ne sommes plus qu'une dizaine », se désole Tony Talbot, qui n'arrive plus à vivre de ses prises depuis l'imposition de quotas européens.

« Ma limite est de 50 kg de raie par mois, que je peux vendre pour 80 livres sterling (150 $). Impossible de vivre avec ça ! »

L'homme qui s'est converti à la cueillette d'huîtres et à l'importation de crevettes est bien conscient que si ce n'est pas l'UE, c'est Londres qui imposerait des limites à la pêche. « Mais au moins, ces quotas refléteraient vraiment notre situation », imagine-t-il, avant d'affirmer : « Vous ne trouverez pas un seul pêcheur en Angleterre à vouloir rester dans l'UE. »

John Bullock et ses amis sont tous, sans hésitation, des partisans de la sortie de l'Union européenne. Deux ex-employés des chemins de fer, un poseur de tapis, un employé sanitaire...

Ils citent la réglementation tatillonne de Bruxelles, qui va jusqu'à « régir la taille des fraises. » Ou encore l'immigration : « Nous ne sommes pas racistes, mais en ce moment, la situation est hors de contrôle. »

Et les conséquences du Brexit ? « Nous avons survécu avant l'Europe, nous survivrons après », disent-ils, philosophes.

Propriétaire du bureau de poste et du dépanneur voisin, Mohammed Khan s'insurge lui aussi contre les directives de Bruxelles. « Ils vont jusqu'à nous imposer des normes pour les ampoules ! »

Cet enfant de l'immigration, né au Pakistan, dénonce l'afflux d'étrangers qui sont en train de modifier le tissu ethnique de son pays.

Attention, les pro-Brexit ne sont pas tous vieux ou paumés. Carina, 21 ans, serveuse au Fish Bar & Restaurant, est fraîchement diplômée en droit. Elle est résolument en faveur du « OUT ». Pour elle, c'est une question de démocratie : « Je ne comprends pas que les lois de Bruxelles aient préséance sur nos propres lois ! »

Les habitants de Clacton ne sont pas non plus tous en faveur du Brexit. Le patron de Carina, Tony, ne saisit même pas pourquoi le référendum de jeudi doit avoir lieu. « Si nous quittons l'UE, l'Écosse pourrait bien quitter le Royaume-Uni, moi, je suis pour l'unité, je ne comprends pas pourquoi on devrait briser quelque chose au lieu de le réparer. »

Mais globalement, cette ville désenchantée, avec ses autos tamponneuses à l'arrêt et ses vagues qui se brisent sur un quai vide, voit le Brexit comme une bouée de sauvetage.