Il fut un temps où des intellectuels comme Léon Dion, las du statu quo constitutionnel et du peu d'intérêt du Canada pour les demandes du Québec, s'autoqualifiaient de « fédéralistes fatigués ». Aujourd'hui, retour du balancier, on assiste à l'émergence de « souverainistes fatigués ».

C'est le cas, entre autres, de l'ancien ministre des Finances du gouvernement Marois, Nicolas Marceau, qui se dit même prêt à renouveler le fédéralisme pour en finir avec le statu quo constitutionnel.

C'est l'envers de la médaille post-Meech, lorsque des fédéralistes comme le professeur Léon Dion (politologue à l'Université Laval, père de Stéphane Dion, mort en 1997) flirtait avec l'idée de la souveraineté tant il désespérait de voir un jour la fédération canadienne s'ouvrir pleinement au Québec.

Ce fut aussi le cas de Robert Bourassa, fédéraliste en chef à l'époque de la montée irrésistible du Parti québécois de René Lévesque dans les années 70, qui a considéré un temps, au début des années 90, la théorie du « couteau sur la gorge » du même Léon Dion.

L'idée, alors, chez les « fédéralistes fatigués », était de mettre la pression sur Ottawa et sur le reste du Canada dans l'espoir d'obtenir, sous la menace d'un possible éclatement du pays, des concessions et une reconnaissance formelle assortie de pouvoirs réels.

L'idée a fait long feu : on n'allait tout de même pas demander à des fédéralistes de mener la marche vers l'indépendance du Québec !

Cet épisode démontre toutefois que ceux-ci avaient perdu espoir dans leur cause (c'est encore le cas aujourd'hui, mais la seule différence, c'est qu'ils sont résignés ou indifférents). Le statu quo était devenu pour eux la preuve d'un cuisant échec.

Bien des souverainistes ou ex-souverainistes se retrouvent aujourd'hui à cette même croisée des chemins. Certains, comme François Legault, ont résolument quitté la voie souverainiste pour emprunter celle du fédéralisme, même s'il n'aime pas ce terme. D'autres, comme Camil Bouchard, se sont rangés sur l'accotement en espérant une nouvelle avenue, à gauche et pas nécessairement souverainiste.

Nicolas Marceau, lui, veut prendre deux voies en même temps : la souveraineté et le fédéralisme renouvelé, pendant quelques années, avant de demander aux Québécois de choisir sur laquelle ils voudront continuer.

La recherche incessante de voies de contournement vers le but ultime par les penseurs souverainistes nous a donné quelques chefs-d'oeuvre d'imagination au cours des dernières décennies, mais la proposition de Nicolas Marceau de créer un « Secrétariat au fédéralisme renouvelé » est d'une originalité inégalée à ce jour.

Un gouvernement péquiste devrait donc engager un fédéraliste notoire et convaincu chargé, pendant trois ans, de trouver une voie de renouveau avec le reste du Canada. Il tirerait son mandat d'un gouvernement qui s'engagera à « reconnaître une légitimité au Canada réformé », mais qui « devra être clair sur le fait qu'il priorisera toujours l'indépendance et travaillera sans relâche pour que ce soit cette option qui soit choisie par les Québécois au terme de la consultation populaire sur l'avenir du Québec ».

Ça fait un peu bidon, non ? Un négociateur fédéraliste dans un gouvernement péquiste, c'est comme un végétarien dans un steakhouse.

Bien sûr, il y aurait aussi un « Secrétariat à l'indépendance », celui-ci chargé de préparer l'accession du Québec à la souveraineté. Après trois ans, les Québécois choisiraient, par référendum, entre la souveraineté ou les propositions du Canada pour renouveler le fédéralisme. Si le Canada ne joue pas le jeu, ce qui est plus que probable, les Québécois trancheraient entre la souveraineté ou le statu quo constitutionnel. Créatif, n'est-ce pas ?

C'est tordu, pour rester poli. Lorsque les ténors souverainistes ne sont plus capables de défendre leur option, noble et légitime, à visière levée et cartes sur table, il ne faut pas s'étonner que les Québécois ne suivent plus le mouvement.

Nicolas Marceau n'est pas le premier souverainiste à explorer des chemins de traverse vers le Oui. On doit bien avoir à ce jour pas loin de 50 nuances de Oui.

L'idée des référendums sectoriels, stratégie de souveraineté à la pièce, court au PQ depuis plus de 20 ans et certains ténors, comme Jean-François Lisée, ont même détaillé cette stratégie dans des livres. Dans Sortie de secours, paru en 2000, M. Lisée proposait que les Québécois obtiennent « la capacité d'affirmer et d'exercer, lorsqu'ils le jugent opportun, l'autonomie pleine et entière du Québec en matière de langue et de droits linguistiques ; de culture ; de communications ; d'immigration ; d'éducation ; de recherche ; de santé ; de programmes sociaux ».

D'autres, au PQ, ont plaidé en faveur d'un référendum sur l'adoption d'une Constitution québécoise.

Il paraît que la nécessité est mère des inventions. Le dicton s'applique aussi ici. Si le PQ doit constamment chercher des stratagèmes pour arriver à ses fins, c'est que son option ne passe pas, point. Il est d'ailleurs paradoxal d'entendre des leaders souverainistes, comme M. Marceau, dire qu'ils sont convaincus que les Québécois choisiront l'indépendance, tout en se sentant obligés d'user de telles manoeuvres sinueuses pour arriver à leurs fins.

Sans surprise, la proposition de M. Marceau a fait chou blanc auprès des quatre candidats à la direction du PQ. Elle finira bien vite, comme bien d'autres idées, au rayon des causes perdues.