C'est une ex-fumeuse qui vous parle. Une ex-fumeuse qui pense que fumer est encore un choix. Même si ce choix est le meilleur moyen de creuser sa tombe. La cigarette tue, en moyenne, 28 Québécois par jour. Un mort toutes les heures.

Je vous pose la question : faut-il tout simplement l'interdire ?

Les endroits où les gens peuvent fumer se font de plus en plus rares. Comme vous le savez sans doute, de nouvelles interdictions s'ajoutent aujourd'hui : il n'est plus permis d'allumer une cigarette sur la terrasse d'un resto ou d'un bar. Ni - enfin ! - dans une voiture en présence de jeunes de moins de 16 ans. Pas davantage sur un terrain de jeux pour enfants ou dans un camp de vacances. Et encore moins dans les garderies, les écoles primaires et secondaires.

La nouvelle loi antitabac, adoptée à l'unanimité à la fin de novembre 2015 par les députés de l'Assemblée nationale, s'applique aussi aux lieux fermés qui accueillent le public : interdiction de fumer dans un rayon de neuf mètres de toute porte, prise d'air ou fenêtre de ces établissements. Dans les hôtels, le pourcentage maximal de chambres où il est permis de fumer passe de 40 à 20 %.

Ce n'est pas tout : la nouvelle loi étend son champ d'application à la cigarette électronique, dorénavant considérée comme un produit du tabac. Là où la cigarette est interdite, le vapotage l'est aussi. Et du point de vue de la composition du tabac, les entreprises ne peuvent plus ajouter d'arôme, comme le menthol, dans les cigarettes, sauf dans les cigarettes électroniques et les produits destinés à l'exportation.

Au Québec, comme partout dans le monde, la cigarette est un énorme problème de santé publique et coûte très cher en soins et en prévention. Un Québécois sur cinq fume. Et un fumeur sur deux meurt à cause du tabac. Durcir la loi est donc une bonne idée.

Québec exige déjà des fabricants qu'ils affichent sur les paquets une mise en garde de santé comportant une surface minimale, pour éliminer du marché de nombreux formats de paquets trop petits. Mais il pourrait aller plus loin et instaurer le paquet de cigarettes neutre, comme vient de le faire la France. Les paquets de ce type ont tous la même forme, la même taille, la même couleur et la même typographie, sans aucun logo. Le nom de la marque apparaît toutefois en petit.

La France, qui a adopté le paquet neutre en décembre dernier, l'applique depuis le 20 mai. Cette mesure a été instaurée pour la première fois dans le monde en Australie, à la fin de 2012, où elle a contribué à faire passer le taux de tabagisme de 15 à 12 %. L'Irlande a voté en février une loi pour l'imposer, suivie tout récemment par le Royaume-Uni. Le Canada pourrait emboîter le pas : le premier ministre Justin Trudeau a demandé à la ministre de la Santé Jane Philpott de faire des paquets neutres une de ses priorités.

Mais interdire la cigarette, comme certains purs et durs rêveraient de le faire, n'est certainement pas la solution.

Fumer - je le sais pour l'avoir fait pendant 15 ans - est une dépendance forte, mais c'est aussi un produit de consommation courante, de moins en moins toléré en public, certes, mais encore permis. C'est aussi un fléau qui touche davantage les moins nantis que les plus fortunés. Le Québec compte proportionnellement presque deux fois plus de fumeurs pauvres que de fumeurs riches. Et pas seulement le Québec. C'est le cas ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe.

Mais l'interdiction totale ne réglerait pas le problème. On a essayé avec l'alcool, et ça ne fonctionne pas. Les fumeurs trouveraient le moyen de s'approvisionner sur le marché noir et de fumer en cachette.

La criminalisation entraînerait d'autres problèmes et d'autres coûts : enquêtes, arrestations, procès, condamnations, etc.

Non, au moment où le Canada songe à légaliser la marijuana, je ne sais pas vous, mais moi, je ne vois pas comment on pourrait interdire le tabac. Pour libérer la planète de la cigarette, vaut mieux miser sur la prévention, l'éducation dans les écoles, les campagnes de pub antitabac et les mesures législatives. Faire payer l'industrie du tabac fait aussi partie de la solution.

Le 1er juin 2015, après 17 ans de procédures, la Cour supérieure du Québec a condamné trois grands fabricants de cigarettes à verser 15,5 milliards en dommages moraux et punitifs à des centaines de milliers de fumeurs québécois représentés par deux recours collectifs.

Le gouvernement du Québec, de son côté, réclame plus de 60 milliards aux sociétés de tabac pour les coûts publics des cancers et des problèmes cardiaques causés par la cigarette, depuis la mise en place du Régime d'assurance maladie du Québec en 1970 jusqu'en 2030, pour tenir compte de l'espérance de vie des fumeurs actuels. Le Manitoba, l'Alberta, la Saskatchewan, l'Île-du-Prince-Édouard, l'Ontario, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador ont déposé des requêtes similaires.

En attendant, si l'envie de griller une cigarette en ville vous prend, sachez que c'est encore permis sur le trottoir et dans la rue.

CINQ CHIFFRES SUR LA CIGARETTE

10 000 morts > Au Québec, le tabac tue plus de 10 000 personnes par année, selon Statistique Canada. C'est deux fois plus que les suicides, les noyades, les accidents de la route, les toxicomanies, les meurtres et l'alcool réunis.

10 ans > Selon le Conseil québécois sur le tabac et la santé, la cigarette et les produits du tabac diminuent l'espérance de vie de 10 ans.

20 % de fumeurs > Selon Statistique Canada, le Québec compte 20 % de fumeurs réguliers ou occasionnels : 22 % d'hommes et 15 % de femmes. Le taux de tabagisme était de 23 % en 2010.

1,4 milliard > Chaque année, le Québec consacre 1,4 milliard de dollars à soigner les maladies liées au tabac.

11 % > Proportion d'élèves québécois du secondaire qui avaient fumé au moins une cigarette au cours des 30 derniers jours, en 2012-2013, selon une étude de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).