De tous les problèmes que cause l'arrivée à la retraite des baby-boomers, celui de la relève entrepreneuriale reste parmi les plus mal compris.

Ce n'est pas qu'on l'étudie peu : depuis une dizaine d'années, plusieurs chercheurs se sont penchés sur cette réalité aux implications économiques considérables. Leur diagnostic et leurs recommandations varient selon les pays, et il existe même des divergences conceptuelles.

Les initiatives pragmatiques se multiplient parallèlement pour mettre en relation cédants et releveurs potentiels avec pour noble objectif d'assurer la survie d'un maximum de petites et moyennes entreprises au potentiel de croissance et d'innovation.

Ainsi, vendredi dernier, le Fonds de solidarité FTQ et la chambre de commerce du Montréal métropolitain ont présenté la troisième édition de RDV Relève, qui a réuni quelques centaines de personnes au Palais des congrès.

Ce vendredi, le Centre de transfert d'entreprise du Québec organise à son tour une conférence dans la Vieille Capitale avec l'entrepreneure dragonne Danièle Henkel à sa tribune.

Comme le rappelle l'économiste du Mouvement Desjardins Joëlle Noreau, il existe deux moyens d'assurer la relève entrepreneuriale : encourager la création d'entreprises et faciliter la transmission de celles qui existent. « Les deux moyens sont aussi importants l'un que l'autre. » Elle signe une nouvelle étude qui fait le point sur la littérature existante ici et ailleurs, remet en question certaines de leurs conclusions et esquisse quelques pistes de solution pour faciliter la relève, tout en gardant bien à l'esprit que chaque entreprise a ses singularités.

Sans minimiser le choc que représente l'arrivée à la retraite des boomers, Mme Noreau conteste l'ampleur de la sous-représentation de la relève comme l'ont déplorée d'autres chercheurs. Une entreprise peut ainsi très bien en acquérir une ou plusieurs autres. L'acquéreur ne ferme pas pour autant la société acquise pour éliminer un concurrent. Croître par acquisitions représente une avenue qui doit être envisagée dans le transfert d'entreprises au même titre que la cession à sa filiation ou à ses employés. Bref, il y a peut-être plus de releveurs qu'on le présume.

À l'inverse, l'entrepreneur désireux de vendre peut hésiter à s'inscrire dans une banque de cédants, à se signaler en ligne, par crainte de faire diminuer la valeur présumée de sa PME. Vu de cet angle, il y a peut-être plus de cédants que ne le suggèrent certaines listes.

Le défi pour les chercheurs, c'est de jauger avec précision une réalité difficilement quantifiable, mais néanmoins très préoccupante.

L'entreprise reste le moteur de l'économie et la croissance, le gage de sa pérennité, au sein de la famille du fondateur ou par le truchement de tiers.

Même au sein d'une famille, le transfert doit être préparé avec le plus grand soin. Les cas d'échec sont légion : pensons à Steinberg, à Seagram, à Eaton, autant de forteresses qui ont implosé comme des châteaux de cartes, faute de bonne préparation du transfert.

Au RDV Relève, Jolcelyne Dallaire Légaré a raconté comment elle avait pris les commandes de Memoria, fondée par son grand-père Alfred Dallaire. Elle a souligné l'importance de distinguer les préoccupations de nature familiale comme l'équité entre frères et soeurs et celles de nature entrepreneuriale comme les compétences et l'engagement de chacun au sein de la société. Cela ne va pas sans heurts et exige beaucoup de préparation.

Par son témoignage, les participants ont compris que la réussite n'a pas été facile, mais aussi que sa fille Julia paraît bien placée pour lui succéder quand elle sera prête à lui céder les commandes. D'autant qu'elle fait déjà preuve d'innovation.

Ce succès ne signifie pas qu'il faille s'en remettre exclusivement aux forces du marché pour assurer la relève, même si c'est l'approche retenue aux États-Unis.

Ainsi, au Japon, les autorités ont ajusté la fiscalité après avoir constaté que la transmission à un membre de la famille suivait une tendance baissière.

En France, on promeut des formations adaptées aux professionnels (avocats, notaires, comptables) souvent engagés dans des processus de transfert. Font souvent défaut des compétences en psychologie.

On a aussi créé un régime d'épargne-retraite cession pour inciter l'entrepreneur à planifier le transfert de son entreprise tout en assurant la sécurité financière de ses vieux jours.

En somme, le transfert d'entreprise doit demeurer au coeur de la politique économique du Québec. « Il serait dommage de laisser le tissu entrepreneurial québécois s'atrophier », remarque à juste titre Mme Noreau.

photo françois roy, archives la presse

Les initiatives pragmatiques se multiplient parallèlement pour mettre en relation cédants et releveurs potentiels avec pour noble objectif d’assurer la survie d’un maximum de petites et moyennes entreprises au potentiel de croissance et d’innovation.