La très timide tentative de rapprochement des partis souverainistes, dont on parle beaucoup ces temps-ci dans les médias (j'insiste : dans les médias, parce que je suis loin d'être sûr que cela passionne le « monde ordinaire »), me rappelle cette vieille boutade de comptable :

- Un plus un, ça donne combien ?

- Ça dépend. Combien veux-tu que ça donne ?

On peut faire dire bien des choses aux chiffres. Les gouvernements eux-mêmes sont passés maîtres dans l'art de la comptabilité créative, qui permet, notamment, d'équilibrer des budgets ou de dégager soudainement des marges de manoeuvre.

L'interprétation des sondages par les partis politiques libère aussi très souvent, surtout chez les partis en difficulté, des trésors d'imagination. Mais la politique, contrairement à l'arithmétique, n'est pas une science exacte, et un plus un ne donne pas toujours deux.

Il y a trop de variables mystères dans l'évaluation réelle des intentions de vote pour prendre les résultats des sondages pour argent comptant. Quelle est, par exemple, la valeur exacte de la fameuse « prime à l'urne » qui permet au Parti libéral de faire presque toujours mieux le soir du scrutin que dans les sondages publiés pendant la campagne électorale ?

Quel est le poids réel de l'« hypothèque référendaire » (le fameux poing levé de Pierre Karl Péladeau en 2014) dans l'isoloir ? Dans un sondage, 100 % des répondants font un choix, mais le jour des élections, combien d'électeurs boudent les bureaux de vote ? Et pour qui auraient-ils voté ?

Confronté à un effritement lent mais constant de son électorat depuis 1998, le Parti québécois veut stopper l'hémorragie. La solution la plus élémentaire serait, évidemment, de ramener dans son giron ses « électeurs naturels » partis ailleurs, chez Québec solidaire, notamment.

Mathématiquement, ça se tient : additionnez le score du PQ et celui de QS dans le dernier sondage CROP et ça donne 40 % (45 % chez les francophones), ce qui garantit un gouvernement majoritaire.

Politiquement, par contre, la réunification de la famille souverainiste tient plus du fantasme que de la réalité.

D'abord, il y a le pourquoi.

Est-il question ici de réunir les partis souverainistes pour préparer l'accession du Québec à l'indépendance ou pour former une masse critique capable de déloger les libéraux ? Le très timide rapprochement entrepris ces jours-ci sous l'égide de OUI Québec vise, selon le communiqué officiel du mouvement, à établir une « feuille de route commune sur les modalités d'accession à l'indépendance du Québec ». Pour bien des partisans de QS, qui veulent d'abord un retour à la social-démocratie, c'est mettre la charrue avant les boeufs.

La profession de foi sociale-démocrate de Pierre Karl Péladeau, dans sa lettre ouverte de la semaine dernière, vise, c'est l'évidence, à rassurer ces électeurs, mais un profond gouffre les sépare. PKP, champion de la social-démocratie et du mouvement progressiste ? Pour le moment, cela repose sur un acte de foi de l'aile gauche du mouvement souverainiste.

L'appel de M. Péladeau serait plus crédible s'il s'articulait autour d'un projet politique (autre que celui de vouloir « faire du Québec un pays »), un manifeste politique dans lequel il déclinerait ses priorités du triple E : économie, éducation et environnement.

Le défi de PKP est de réunir les militants péquistes pressés de « voir le pays » qui l'ont élu chef il y aura bientôt un an et ceux de Québec solidaire, plus soucieux de rétablir les bases sociales-démocrates que de voir le drapeau du Québec flotter devant l'ONU, à New York.

À supposer que cet appel soit entendu, il faudrait aussi régler le comment d'une éventuelle alliance. Candidatures conjointes ? Pacte de non-agression dans certaines circonscriptions ? Mise en commun des ressources ? Gouvernement de coalition ?

Eh oui, permettez le cliché : le diable, dans un tel projet, est vraiment dans les détails. Voyez seulement le débat de la semaine dernière concernant l'augmentation du salaire minimum à 15 $. Imaginez maintenant les discussions sur l'exploitation des hydrocarbures, sur le régime fiscal des entreprises, sur la lutte contre la pauvreté...

Le constat de PKP n'est pas faux : la remontée de son parti, et son retour au pouvoir, passe, notamment, par l'addition de l'aile gauche partie chez QS, mais le plus grave problème du PQ est ailleurs : il doit absolument reconquérir les jeunes, une tranche de l'électorat qui lui a tourné le dos.

En entrevue de fin d'année à La Presse, en décembre dernier, M. Péladeau admettait que le principal défi du mouvement souverainiste est de ramener les jeunes à bord, de les remobiliser. Le fait que tant de jeunes électeurs se soient tournés vers Justin Trudeau en octobre dernier n'est certainement pas un bon signe pour le PQ. (Selon un sondage Abacus, le nombre d'électeurs de 18-25 ans a augmenté de 12 % au dernier scrutin fédéral et 45 % de ces jeunes ont voté libéral.)

Pour le PQ, une offensive jeunesse passe nécessairement par un projet politique, notamment en environnement, par des propositions audacieuses, par un discours plus inclusif et par certains catalyseurs, comme Jean-Martin Aussant, toujours en réserve du mouvement souverainiste.