Lorsque je suis sorti de mon hôtel du centre-ville d'Edmonton, hier matin, les raffineries, visibles au loin dans la banlieue, enveloppaient la capitale albertaine d'une puissante et désagréable odeur de soufre.

Odeur de soufre... Présage de ce qui attendait Thomas Mulcair quelques heures plus tard au congrès du NPD ?, me suis-je demandé. Le hasard a fait que je suis tombé au même moment sur... Thomas Mulcair, en tenue de jogging, les cheveux hirsutes, au Starbucks où je m'étais arrêté prendre un café. M. Mulcair venait de faire sa marche matinale et il était en grande discussion avec l'ex-députée de Vancouver Libby Davies, fière représentante de l'aile socialiste du NPD. Une rencontre fortuite, m'a dit un conseiller néo-démocrate qui était attablé avec M. Mulcair et Mme Davies.

Peut-être, mais je me doutais bien que le chef du NPD ne discutait pas des différentes saveurs de café offertes chez Starbucks. Thomas Mulcair était coincé entre l'aile gauche de son parti, qui le trouvait trop à droite, et les très nombreux délégués de l'Alberta, qui lui reprochaient sa tiédeur à propos du projet de pipeline Énergie Est.

Il aura essayé jusqu'à la fin de rallier les uns et les autres, sans succès.

Il m'a fait une blague à propos de la « tendance lourde » de mes chroniques négatives à l'endroit du gouvernement Couillard, mais visiblement, il était très tendu. Lui aussi avait senti le soufre, tout comme ses conseillers, qui sont passés de « ça va être difficile, mais ça va passer » samedi matin à « ça va être difficile » samedi soir, à « ça ne passera pas » hier matin.

Mais mon image de soufre est incorrecte. En fait, c'était plutôt du monoxyde de carbone, comme me l'a suggéré un collègue de CPAC, Pierre Donais : « Ça ne sent pas, mais ça tue. »

Les congrès politiques, surtout ceux à la direction ou ceux qui tiennent des votes de confiance, sont des organismes vivants, instables, sensibles aux variations de température du climat politique et aux pressions barométriques. Depuis trois jours, les quelque 1900 délégués réunis à Edmonton discutaient entre eux, dans les corridors du centre des congrès, dans les restaurants et les bars du centre-ville, de l'avenir de leur parti et, surtout, de l'avenir de leur chef. Le malaise, déjà palpable depuis la débâcle d'octobre, est devenu contagieux dans la serre chaude du congrès.

Un nombre incalculable de délégués disaient, avant le vote d'hier matin, ne pas être encore décidés, ajoutant qu'ils « [voulaient] d'abord entendre le dernier discours de leur chef avant de se décider ». Vraiment ?

Quant à moi, c'était en fait une façon polie de dire qu'ils n'appuyaient pas leur chef, un peu comme on dit « Je vais y penser » à un vendeur après avoir essayé une auto. Dans le fond, ça veut dire « Non, merci, je vais trouver autre chose ». La seule surprise de ce congrès, c'est la force du « Non, merci ».

Les militants du NPD avaient du respect pour Thomas Mulcair, surtout pour ses indéniables talents de parlementaire, et ils ont aussi apprécié son énergie à la tête de leur parti, mais le résultat du 19 octobre conduisait à une conclusion impitoyable.

La plupart des délégués opposés à M. Mulcair lui reprochaient d'avoir dénaturé le NPD, le poussant vers le centre droit, laissant une belle brèche à gauche pour Justin Trudeau. Erreur de stratégie.

Problème de personnalité aussi : ses détracteurs l'accusaient d'avoir dirigé le parti en solitaire, sans écouter. « Quand tu fais un one-man-show, tu ne peux pas partager le blâme si tu te casses la gueule », résume un délégué du Québec, qui était toutefois sous le choc, comme tout le monde, devant la force du rejet exprimé par le congrès.

Les tentatives tardives de rédemption et de séduction du chef déchu n'ont pas suffi à renverser la vapeur. Thomas Mulcair aurait pu faire son ultime discours à genoux dans du verre brisé en s'autoflagellant, le sort en était jeté, les militants, massivement, avaient décidé de s'en débarrasser.

De la pression, Thomas Mulcair en a subi, à la limite de ce qu'il pouvait supporter. Au début de son discours, on a même cru un moment qu'il allait craquer tellement il était nerveux et ému. Les attentes étaient démesurées. La réception a été, au mieux, polie. À la fin de son discours, les militants se sont mis à scander « NDP, NDP, NDP » et non pas « Mulcair, Mulcair, Mulcair ». Dès lors, il était clair que les carottes étaient cuites.

On ne l'a jamais senti dans le coup, durant cette fin de semaine de congrès. Pas d'appuis visibles parmi les militants, pas d'accessoires vantant son leadership, pas même de blitz de députés et de membres influents en sa faveur. « Le coeur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien », chantait Léo Ferré.

En entrant, tôt hier matin, au centre des congrès, on trouvait partout des dépliants expliquant pourquoi il fallait voter en faveur d'une nouvelle course à la direction. Aucun effort, toutefois, pour tenter de convaincre les néo-démocrates du contraire.

Lorsque le score est tombé, il y a eu un long silence de stupeur, entrecoupé de quelques cris de joie de rares militants affichant leur satisfaction. On a vu aussi plusieurs députés sous le choc ou en larmes, notamment Ruth Ellen Brosseau. D'autres, plus philosophes, se rassuraient en se disant que M. Mulcair garderait le fort en attendant l'élection de son successeur.

Il n'y a pas de quoi festoyer, en effet. Les néo-démocrates ont réglé la question de Thomas Mulcair, mais ils doivent maintenant lui trouver un successeur. Ils sont aussi repartis d'Edmonton divisés sur la question de l'avenir de l'exploitation du pétrole.

Dans un vote très serré, ils ont décidé d'étudier le manifeste Un bond vers l'avant (Leap), un plaidoyer de l'élite gauchiste et environnementaliste canadienne qui prône, notamment, l'abandon du pétrole, malgré l'appel au compromis, samedi, de la première ministre néo-démocrate, Rachel Notley.

Thomas Mulcair pourra au moins se consoler en se disant que ce n'est pas lui qui devra faire les arbitrages dans ces débats qui risquent de déchirer le NPD d'ici aux prochaines élections.