Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau est sans cesse obligé de concilier le caractère sommaire de ses promesses électorales avec la complexité de la réalité. On l'a vu avec l'accueil des réfugiés syriens et avec l'arrêt de la participation du Canada aux bombardements en Syrie. C'est maintenant au tour du budget.

La promesse libérale de créer un déficit pour relancer l'économie, surtout avec des dépenses d'infrastructures, est confrontée à deux obstacles. Un problème quantitatif, le fait que le déficit sera beaucoup plus élevé que prévu. Et un problème qualitatif, le fait que les projets d'infrastructures sur lesquels compte le gouvernement libéral constituent un outil de relance très primitif, d'autant plus que ce n'est pas de bulldozers que l'économie canadienne a besoin.

Les prévisions du secteur privé dont le ministre Bill Morneau s'est servi nous disent que l'économie a été moins forte que prévu en 2015 et le sera aussi en 2016, une croissance du PIB de 1,2 % au lieu de 2,2 %. Ce ralentissement s'explique essentiellement par les prix du pétrole qui ont poursuivi leur chute. Ces mêmes prévisions disent toutefois, tout comme celles du FMI et de l'OCDE, que l'économie canadienne retrouvera un rythme presque normal en 2017, avec une croissance de 2,2 %, essentiellement parce que l'on croit que le prix du brut aura retrouvé la barre des 45 $US le baril. Évidemment, ces prévisions ont leurs limites, mais c'est la base de travail dont nous disposons.

Si ce scénario, qui est le plus probable, se réalise, on peut décrire ainsi l'état de l'économie canadienne : un ralentissement temporaire et modeste dû à un choc extérieur, lui aussi temporaire. Le Canada n'est pas dans le marasme. Même si, sur papier, sa croissance n'est pas plus forte cette année que celle d'un pays comme la France, l'impact réel de cette croissance plus faible est limité. Par exemple, cela n'entraîne pas une hausse du chômage.

Cela soulève deux grandes questions. Tout d'abord, est-il logique de se lancer dans des déficits pendant trois ou quatre ans pour combattre un ralentissement qui ne durera qu'un an ? Une grosse partie de la réponse tient au fait que le déficit important qu'annonce M. Morneau, 18,4 milliards avant même les promesses libérales, s'explique surtout par l'impact considérable de ce ralentissement modeste sur les revenus fédéraux. Ce serait une très mauvaise idée de se lancer dans des compressions pour le résorber.

Mais la question reste entière : pourquoi soutenir une économie qui, selon les prévisions du ministre, remontera toute seule assez rapidement ?

La deuxième question qu'il faut se poser, c'est si l'outil choisi - les investissements en infrastructures - représente le meilleur moyen de résoudre les problèmes auxquels est confrontée l'économie canadienne. Le choc pétrolier a eu des effets directs, une baisse des investissements dans le secteur et une chute des revenus d'exportation. Mais ce choc a révélé l'existence de problèmes plus profonds. D'abord, la trop grande dépendance de l'économie canadienne envers le secteur des ressources et la nécessité de diversifier les économies des provinces de l'Ouest. Ensuite, la lenteur des provinces plus industrielles, comme le Québec et l'Ontario, à profiter de la relance de l'économie américaine et de la dévaluation du dollar, qui trahit un manque de dynamisme et illustre l'importance de miser sur les investissements, la productivité et l'innovation.

Et que propose-t-on ? Des grands travaux d'infrastructure, qui ont deux limites. La première est de nature temporelle. Même des projets « shovel ready » comme on dit en anglais, prêts à être mis en marche rapidement, ne feront pas sentir leurs effets avant la fin de l'année, au moment où, en principe, l'économie aura retrouvé de toute façon un rythme normal.

La seconde est qualitative. Les travaux d'infrastructure ont un impact direct d'abord et avant tout sur l'industrie de la construction et les activités connexes, et ne feront pas grand-chose pour aider les entreprises exportatrices à investir, à ouvrir des marchés, à devenir plus compétitives, à créer des emplois. Il est vrai que les travaux d'infrastructure combleront d'importants besoins en transport, en environnement, en équipements municipaux. Mais au plan économique, disons, pour parler en jargon, qu'ils auront un impact conjoncturel quand les problèmes sont de nature structurelle.

Il y a théoriquement une clé pour faire en sorte que ces investissements en infrastructures puissent aider à la transformation de l'économie : le choix des projets eux-mêmes, leur contenu technologique, leur impact sur l'évolution future du pays, par exemple en environnement ou en transport, leur capacité de donner à nos entreprises un savoir-faire qu'elles pourront réutiliser. Si l'argent sert aux viaducs et aux arénas, ce ne sera pas le cas.