Le gouvernement Couillard est-il capable d'apprendre de ses erreurs ? La question se pose, à voir la façon dont il s'est lancé tête baissée dans un resserrement de la gestion des garderies où il reproduit les mêmes gaffes qui ont nourri l'insatisfaction à son égard.

Québec entend réduire de 120 millions les sommes versées aux centres de la petite enfance (CPE) et aux garderies privées subventionnées en se basant sur les résultats de ce qu'il appelle le « tiers performant », les établissements dont les coûts sont les plus bas. Il entend verser à l'ensemble des garderies ce qu'il donne à celles qui coûtent le moins cher. La démarche est douteuse, tant sur le fond que sur la forme.

Sur la forme, le gouvernement Couillard devrait savoir, après le débat animé sur les frais de garde, qu'il faut mettre des gants blancs quand on touche aux garderies. Pas seulement parce qu'elles sont un symbole intouchable du modèle québécois. Surtout parce que la finalité du réseau de garde est d'assurer le bien-être de nos tout-petits. Les parents, mais aussi l'ensemble des citoyens, réagissent vivement à tout ce qui peut toucher les jeunes enfants. Le gouvernement doit donc faire preuve de tact et de sensibilité, une qualité qui semble lui faire défaut.

Sur le fond, le gouvernement Couillard devrait avoir appris d'une autre erreur, ses coupes en éducation. Elles ont été très mal reçues, essentiellement parce que les compressions imposées au réseau se sont souvent traduites par des mesures qui ont inutilement touché des populations vulnérables. La gestion en cascade, où l'on espère que des commandes venues d'en haut se répercuteront intelligemment jusqu'en bas, a donné des résultats imprévisibles et malheureux.

En principe, l'idée de se servir du tiers des garderies les plus performantes comme modèles pour améliorer la gestion de l'ensemble du réseau se défend. C'est une forme de benchmarking, de l'étalonnage, qui consiste à vouloir élargir l'utilisation des meilleures pratiques. L'exercice est pertinent et nécessaire.

On se doute, en effet, qu'il y a des carences administratives dans un réseau multiforme, éclaté, dont la gestion repose souvent davantage sur la bonne volonté que sur le professionnalisme, et dont les modes de financement n'ont pas été repensés depuis 18 ans. La réaction des quatre associations de garderies, qui ont surmonté leurs divisions pour faire front commun, trahit cet amateurisme.

Le réseau - qui a déjà absorbé des compressions de 100 millions l'an dernier et de 74 millions cette année - affirme que ces coupes additionnelles de 120 millions - sur un budget de 2,4 milliards - pourraient provoquer la disparition de 5000 emplois, le cinquième des effectifs. Ce calcul un peu étrange permet de soupçonner que le réseau n'est pas dirigé par des as de l'arithmétique.

Mais le benchmarking - l'étalonnage comparatif - ne peut pas seulement se limiter à cibler le tiers des garderies qui dépensent le moins pour plaquer mécaniquement leur cadre financier aux autres. Encore faut-il isoler des facteurs pouvant expliquer ces faibles coûts qui, parfois, ne sont pas reproductibles. Par exemple, les horaires des parents, le milieu social, la taille de la garderie.

Le benchmarking ne doit pas non plus se limiter à ne regarder que la colonne des coûts. Il faut aussi regarder celle des résultats, la performance, y compris la qualité. On a vu dans le monde de la construction que la recherche du plus bas soumissionnaire a souvent mené à sacrifier la qualité. Dans une garderie, on peut aussi réduire les coûts en rognant sur l'alimentation, l'environnement physique, les loisirs, l'encadrement pédagogique, le suivi des clientèles à risque et, en fin de compte, nuire, ce qui est crucial pour les clientèles vulnérables, à leur intégration harmonieuse au monde de l'école.

Enfin, le benchmarking, ce n'est pas l'application mécanique d'une norme. En demandant aux garderies de se débrouiller avec des compressions, le risque est grand que les garderies mal administrées géreront tout aussi mal ces commandes. Pour que l'exercice soit fructueux, il faut plutôt trouver les facteurs de succès et travailler à les implanter ailleurs, ce qui exige de l'encadrement et de l'accompagnement. Rien dans les réponses de la ministre de la Famille, Francine Charbonneau, ne suggère que c'est la voie choisie. Sans ces précautions, on se retrouve avec de la gestion comptable bête et méchante.