Je suis pour les péages. Je suis pour une tarification des routes. Je suis pour le principe de l'utilisateur-payeur. Mais de grâce, pas sur les ponts !

C'est LA faille du rapport de la Commission de l'écofiscalité dévoilé lundi dernier. Un rapport qui arrive au bon moment, qui livre un bon diagnostic, qui explique bien la nécessité d'un signal de prix... mais qui se conclut par une énorme contradiction.

Les auteurs suggèrent un péage « adapté au contexte » de Montréal... puis proposent la solution la plus inadaptée au contexte de Montréal : un mur de péages tout autour de l'île.

C'est sûr que l'érection d'une forteresse tarifaire réduirait le nombre d'autos sur l'île... mais elle pourrait aussi réduire le nombre de banlieusards qui viennent sur l'île. Des banlieusards qui, déjà, ont de plus en plus de raisons de ne pas traverser à Montréal, si ce n'est par obligation.

Or, je sais bien que certains Montréalais pensent pouvoir vivre en autarcie sans l'apport des banlieusards, mais ils oublient que la majorité de la population de la région habite les couronnes, qui vivent un véritable boom démographique. Ils oublient la fragilité de la Sainte-Catherine, les difficultés du Quartier des spectacles, la facilité avec laquelle les entreprises peuvent traverser les ponts.

Ils oublient, en fait, que la banlieue est de plus en plus autonome. Un phénomène qui pourrait bien s'accélérer avec un mur de péages, même si on limite la tarification aux heures de pointe.

Les banlieusards ne se demanderont pas si c'est la bonne journée ou la bonne heure pour traverser... ils éviteront simplement de le faire.

Je dramatise ? Peut-être. Mais rien ne m'assure que je ne dramatise pas. Rien ne me certifie que Montréal peut demeurer aussi dynamique et attrayant avec un cordon tarifaire. Rien ne me garantit que de ceinturer l'île de péages n'étouffera pas son économie déjà chancelante.

Donc on prend le risque quand même ? On essaye pour voir si ça provoque ou non un effet trou de beigne ? On joue aux apprentis sorciers, t'à coup que ça marche ?

Mauvaise idée. Montréal est une île. Montréal est nord-américain. Montréal possède un réseau de transport en commun déficient. Montréal n'a donc rien à voir avec Londres et Stockholm.

Si on veut appliquer une solution « adaptée à son contexte », oublions donc les ponts, qui forceront les automobilistes à payer un péage pour lequel il n'existe pas d'alternative à l'heure actuelle. Les trains sont pleins et pas moyen d'ajouter de bus sur Champlain.

Attaquons-nous, à la place, aux routes que les automobilistes n'ont pas le choix d'emprunter, peu importe s'ils sont sur l'île ou en banlieue : les autoroutes.

Implantons un réseau de péages à la distance parcourue à la grandeur de la région. Vous entrez sur la 15, la 20, la 30 ou la 40, puis vous payez en sortant, selon la distance parcourue.

On retrouve ce genre de péages en Europe, mais aussi aux États-Unis, comme en Oregon par exemple, où on teste la chose depuis 10 ans maintenant. Dès son application, on a noté une baisse de la motorisation de 22 % aux heures de pointe... et de 15 % le reste de la journée. Pas mal !

Avec la technologie, rien de plus facile. La « taxe kilométrique » peut même varier en fonction du niveau d'émissions du véhicule et du moment de la journée, ce qui induirait à la fois une baisse de la motorisation et de la pollution.

Pour ne pas ajouter au fardeau fiscal, la taxe kilométrique pourrait remplacer la taxe sur l'essence. Et les revenus pourraient servir à développer graduellement les solutions alternatives à l'auto et ainsi, rendre les routes de plus en plus fluides. En Oregon, le tarif de 1,5 cent le mille permet de financer les infrastructures routières. À nous de l'orienter vers le transport collectif.

On répondrait ainsi aux objectifs du cordon de péages, mais sans ériger de rempart tarifaire autour de l'île.