Jacques Parizeau est l'un des rares politiciens québécois que l'on peut qualifier d'homme d'État, dont la carrière, dans toutes ses déclinaisons, a profondément marqué le Québec et contribué à façonner notre société telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Mais il y a une espèce de dichotomie dans la vie publique de M. Parizeau. D'un côté l'économiste, comme professeur d'université, comme grand commis de l'État, comme ministre des Finances, qui s'est distingué par son sens de l'équilibre et sa compétence, et de l'autre, le militant indépendantiste, passionné et parfois même téméraire quand il se mettait au service de sa cause.

Celui qui nous a quittés est d'abord un artisan de la Révolution tranquille qui, comme haut fonctionnaire et conseiller de plusieurs gouvernements, a joué un rôle important dans la création des grands outils économiques du Québec moderne : la nationalisation de l'électricité, la Régie des rentes, la Société générale de financement et la Caisse de dépôt et placement.

En politique, il n'a pas seulement été ministre des Finances du gouvernement Lévesque pendant huit ans. Il a en fait réinventé cette fonction.

Avec M. Parizeau, le ministre des Finances a cessé d'être un technicien pour devenir un stratège qui propose une vision de l'économie. 

Un changement de fond qui s'est accompagné d'un changement de forme où le discours du budget, traditionnellement austère, est devenu un événement politique flamboyant.

Comme journaliste, j'ai couvert et analysé tous les budgets de M. Parizeau depuis 1977 et j'ai pu apprécier le style de ses budgets, leur élégance, la compétence de ses analyses, l'originalité de plusieurs de ses initiatives, comme le Régime d'épargne-actions. Une contribution qu'il faut apprécier dans le contexte économique et politique de l'époque, où l'intervention de l'État n'était pas contestée et où les déficits budgétaires étaient considérés comme normaux.

Par la suite, quand il a quitté la vie politique, les interventions publiques de M. Parizeau en tant qu'économiste, ancien ministre des Finances et « elder statesman » ont imposé le respect et suscité la réflexion, même chez ceux qui ne partageaient pas son point de vue. Jusqu'à la fin, il a contribué au débat public d'une façon remarquable, que ce soit sur le système scolaire, la situation financière de l'État, les droits religieux. Et il faut le dire, il l'a toujours fait avec une remarquable intelligence, en contraste frappant avec la médiocrité intellectuelle trop fréquente dans le monde politique.

Et puis, il y avait l'autre Jacques Parizeau, le militant souverainiste. Il n'y a en soi, bien évidemment, aucune contradiction entre le fait d'exercer ses positions d'autorité gouvernementale et le fait d'être un partisan de l'indépendance. Chez d'autres leaders souverainistes, comme René Lévesque ou Lucien Bouchard, les deux volets de leur action étaient en phase. Ça semblait moins être le cas chez M. Parizeau. La sagesse et le recul qui le caractérisaient dans bien des dossiers contrastaient avec un comportement plus cassant, plus intransigeant, plus pressé, qu'il exprimait quand il s'agissait de l'avenir du Québec.

C'est ce qu'on a vu avec sa démission fracassante du gouvernement de René Lévesque en 1984, quand celui-ci a proposé le beau risque. Ou encore, en 1995, quand il était premier ministre, avec la témérité du déclenchement d'un référendum qui semblait voué à l'échec avant l'intervention providentielle de Lucien Bouchard. On l'a vu aussi au moment de la défaite, avec sa déclaration malheureuse sur l'argent et le vote ethnique et sa démission. Ou encore, par la suite, dans ses interventions parfois disruptives dans la vie interne du parti en faveur d'une stratégie référendaire agressive. Ou enfin, à son appui à un parti autre que celui qu'il avait dirigé, Option nationale.

Mais ce qu'il faut retenir de la vie et de la carrière de cet homme complexe, c'est sa contribution remarquable au progrès et à l'évolution du Québec. Et ce qu'il faut exprimer, c'est notre reconnaissance envers un homme qui a consacré sa vie au Québec.