Robert Poëti est un ministre d'une grande transparence. Il livre tout haut le fond de sa pensée. Au fur et à mesure qu'elle évolue...

Réflexion no 1: le ministre a évoqué, fin janvier, l'idée de prolonger la ligne bleue «en surface».

Il parlait alors d'«un train» qui coûterait le tiers du prix d'un métro. Mais sans qu'on sache trop ce qu'il voulait dire. Pensait-il à un tramway? Ou à un métro qui sort de terre? Mystère.

Réflexion no 2: le ministre a précisé, la semaine dernière, qu'il ne voulait finalement pas dire «train en surface» quand il a dit «train en surface». Il pensait plutôt «train aérien».

«En surface, a-t-il précisé, ça ne veut pas dire collé à terre. Est-ce qu'en surface, on peut être à 12 pieds dans les airs, 18 pieds, 20 pieds? On est toujours en surface et on saute des intersections.»

On parle donc d'un monorail, seul moyen de transport qui «saute» les intersections. Un moyen de transport déjà envisagé à Montréal, d'ailleurs. En 1960...

Jean Drapeau rêvait en effet de doter la ville d'un réseau de trains aérodynamiques circulant sur pilotis. Une idée ridicule qui aurait défiguré la ville si elle n'avait été bloquée par Lucien Saulnier, le vrai père du métro. Et pourtant, 50 ans plus tard, voilà que l'idée rebondit ici. Misère.

Réflexion no 3: le ministre a profité de la conférence annuelle de Transport 2000, hier après-midi, pour annoncer qu'il envisage finalement... un tram-train dans l'axe de la ligne bleue. Plus question de pilotis ou de monorail, donc. Même s'il s'en faisait le promoteur enthousiaste. Il y a six jours.

***

Comme preuve de l'improvisation dont est victime le transport en commun, cette pièce en trois actes est dure à battre. Une improvisation qui agit telle une fuite en avant, repoussant toujours plus loin des solutions qui auraient dû être implantées hier.

Le problème, c'est que les ministres des Transports se sentent obligés, dès qu'ils sont nommés, de jeter à la poubelle tout ce que leur prédécesseur a décidé afin d'imposer leurs propres vues. Plus intelligentes et réalistes, évidemment.

J'ai été un témoin direct de cette politique de la terre brûlée au cours des 20 dernières années. Je me rappelle le train rapide Montréal-Boston. Les 12 stations de métro promises en 2000. Le tramway qui devait rouler avenue du Parc en 2006. Les télécabines et la navette fluviale évoquées par le ministre Moreau en 2012. Le trolleybus envisagé pour le boulevard Saint-Michel l'année suivante. Et tant d'autres «projets ficelés».

D'ailleurs, fait à noter, Philippe Couillard n'a pas glissé un mot sur la ligne bleue lors de la dernière élection. Il proposait plutôt une idée sortie de son chapeau: boucler la ligne orange à Laval en la prolongeant depuis Côte-Vertu, cette fois...

C'était donc la ligne orange avant-hier. C'était le monorail hier. Et c'est le tram-train aujourd'hui. Ce sera donc un téléphérique demain?

***

Le pire, c'est qu'au départ, le ministre Poëti n'a pas complètement tort. Le prolongement de la ligne bleue coûterait cher. On pourrait donc envisager une solution de rechange qui dégagerait des sommes pour d'autres projets. Et on pourrait, par le fait même, penser «réseau» plutôt que pièces détachées.

Le tram-train, une «technologie mitoyenne entre le train ultrarapide et l'autobus», comme a dit M. Poëti hier, mérite d'être étudiée pour l'axe de la ligne bleue et ailleurs dans l'île. Surtout si la Caisse de dépôt choisit d'implanter cette même technologie sur le pont Champlain et le corridor vers l'aéroport.

Mais peut-on aussi, de grâce, penser à une structure de gouvernance apolitique, qui nous éviterait de toujours recommencer à zéro?

«Une structure comme on en retrouve à Vancouver, suggère Christian Savard, de l'organisme Vivre en Ville. Là-bas, c'est un conseil d'experts apolitiques qui nomme les dirigeants, décide des stratégies de transports et planifie les investissements. Et il y a un conseil des maires qui garde son mot à dire puisqu'il entérine les orientations.»

On aurait alors des projets étudiés par des experts sans (trop de) contamination politique. Des orientations qui ne sautent pas avec les gouvernements. Et des décisions prises en fonction de l'achalandage, non pas des gains électoraux.

Je sais bien que le ministre Poëti affirme qu'avec lui, «ça ne sera pas pareil». Qu'il faut être «optimiste». Que lui regarde en avant, pas en arrière. Mais c'est ce que tous ses prédécesseurs m'ont répété. À l'identique.