Au cas où vous en doutiez encore, la «guerre» au terrorisme fait maintenant partie intégrante du décor électoral fédéral, du moins chez les conservateurs qui durcissent les lois et critiquent la mollesse des partis de l'opposition.

C'est devant une salle remplie de partisans et de collègues conservateurs que le premier ministre Stephen Harper a présenté hier à Richmond Hill, en Ontario, le projet de loi de son gouvernement pour accentuer la lutte contre le terrorisme.

Il conviendrait sans doute mieux d'écrire: le «chef conservateur Stephen Harper» a présenté le projet de loi, puisque cet événement très attendu avait toutes les apparences d'une annonce en campagne électorale. Slogans vantant l'engagement à lutter contre les terroristes et louant les actions du gouvernement, pointes et reproches aux partis de l'opposition et insistance lourde sur les thèmes électoraux chers à la droite: la loi et l'ordre, l'action militaire, la sécurité dans nos collectivités, la défense de nos valeurs et l'appel au patriotisme contre la «plus grande menace que nous ayons connue».

C'est devenu une habitude pour M. Harper de présenter les orientations de son gouvernement devant des militants, plutôt qu'au Parlement, mais après les attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa ainsi que ceux de Paris, l'exercice d'hier avait de forts relents de récupération politique.

À au moins trois reprises dans son discours, M. Harper a écorché les néo-démocrates et les libéraux, disant notamment que son gouvernement n'a jamais hésité à parler de «terrorisme djihadiste» après Saint-Jean et Ottawa, une flèche à Thomas Mulcair, qui avait émis des doutes sur les motivations terroristes du tireur d'Ottawa, Michael Zehaf Bibeau.

Autre critique à l'endroit de ses adversaires, qui s'inquiètent de voir la mission de l'armée canadienne en Irak devenir carrément une mission de combat. Le premier ministre a raillé MM. Mulcair et Trudeau en affirmant que les soldats canadiens répliqueront s'ils sont pris pour cible. C'est le «gros bon sens» et nous remercions nos soldats de faire du si bon travail, a ajouté M. Harper.

Enfin, le chef conservateur a vanté son projet de loi, qu'il considère comme nécessaire et équilibré, tout en se moquant des partis de l'opposition qui s'inquiètent de l'érosion des libertés individuelles par des moyens légaux disproportionnés. «Les Canadiens savent que les droits et les libertés vont de pair, a-t-il dit. Je ne partage pas l'idée selon laquelle le fait de protéger les Canadiens limite leur liberté.»

Le discours de Stephen Harper et les mots choisis (en anglais) rappellent par moments la rhétorique de George W. Bush contre Al-Qaïda. «Les djihadistes ont déclaré la guerre au Canada», a-t-il dit, et il a ajouté, en anglais: «A great evil has been descending on our world.» (Un grand mal s'est abattu sur notre monde.)

Le décor électoral est bien planté: Stephen Harper présentera son parti comme le seul capable de protéger les Canadiens (il l'a répété pratiquement à chaque phrase, hier) et d'affronter les terroristes. Le discours est ferme, guerrier et... électoraliste, quitte à jouer sur la peur des citoyens. «Il y a tellement de complots terroristes déjoués dont vous n'entendez jamais parler», a lancé le premier ministre, sans toutefois donner de détails à l'appui de cette affirmation.

Les mesures présentées hier par le gouvernement dans ce nouveau projet de loi seront-elles efficaces? La plupart des experts à qui j'ai parlé depuis les attentats à Charlie Hebdo affirment que c'est le manque de ressources, plus que la faiblesse présumée des lois, qui nuit au travail des policiers. Ils craignent par ailleurs que trop de pouvoirs aux forces policières et de renseignement, notamment pour la fermeture de sites internet, pour la détention préventive ou pour arrêter des gens qui font l'apologie du djihad, ne donnent lieu à des abus et à l'arbitraire.

On verra à l'usage si ces mesures sont efficaces, voire applicables (certaines dispositions pourraient fort bien être contestées en cour), mais pour le moment, elles ont surtout une utilité électoraliste. Sur le fond, les partis de l'opposition peuvent s'inquiéter du respect des libertés individuelles, mais à une époque où des jeunes radicalisés foncent sur des soldats canadiens avec leur auto au nom d'Allah, il est risqué de prétendre qu'il vaut mieux ne rien faire.

Stephen Harper, lui, a fait son lit. «Peu importe l'âge, l'endroit où vous êtes ou qui vous êtes, nous ne pouvons pas tolérer que des gens fassent la promotion du djihad, pas plus que nous ne tolérons les gens qui font des blagues sur les bombes dans les aéroports», a-t-il répondu lorsqu'on lui a demandé comment faire la différence entre un individu réellement dangereux et un jeune qui déconne sur l'internet.

M. Harper est prêt à faire la guerre au terrorisme sur l'internet et il répète que les djihadistes ont déclaré la guerre au Canada, mais il reste toutefois prudent sur la mission canadienne en Irak. Le gouvernement Harper refuse de parler de mission de combat, visiblement inquiet de la réaction des électeurs encore marqués par les lourdes pertes humaines en Afghanistan.

M. Harper ne veut pas parler de combats en Irak, mais il relaye toutefois, sur son site officiel, une pub de recrutement des Forces armées.

«Le ministère de la Défense nationale a lancé une nouvelle série impressionnante d'annonces de recrutement, qui fait valoir le rôle des Forces armées canadiennes en matière de combat et d'aide humanitaire», peut-on lire.