Rien n'est plus dangereux qu'un politicien qui se sent obligé de faire quelque chose.

C'est la conclusion à laquelle on arrive en prenant connaissance des scénarios de réorganisation des commissions scolaires de Montréal, un autre brassage de structures improvisé dont on cherche la pertinence.

C'est classique. Les partis politiques sont élus avec un mandat de «changement». Une fois au pouvoir, ils tentent d'apporter ce «changement». Puis, très vite, ils réalisent que le «changement» est plus difficile que prévu et finissent par changer des choses pour... avoir l'air de changer des choses.

Les dernières élections en sont un cas patent. Les libéraux ont été élus sous la promesse d'une réduction de la bureaucratie, particulièrement en éducation. Une fois aux commandes, ils ont nommé un ministre prêt à faire ce qu'il faut. Il a envisagé une grande réorganisation, promis de retourner chaque pierre. Et il promet maintenant de faire passer le nombre de commissions à Montréal de trois... à trois.

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Bon, le ministre s'est sans doute rendu à l'évidence... Trois commissions scolaires pour gérer la centaine de milliers d'élèves de l'île, c'est un nombre adéquat. Bien difficile, donc, d'en faire disparaître à Montréal.

Mais comment justifier au reste du Québec qu'on ne «change» rien dans la métropole? Comment justifier qu'on ne touche pas à l'immense bureaucratie de la Commission scolaire de Montréal? Surtout après son pied de nez de l'automne dernier alors qu'elle a carrément refusé les compressions de 9 millions...

Pas le choix, donc: on a promis de brasser toutes les commissions scolaires, brassons-les toutes, même à Montréal. Arrachons à la CSDM une bonne partie de ses élèves, puis transférons-les à la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (et un peu à la Commission scolaire de la Pointe-de-l'Île).

Comme ça, on «change» les choses... puis on en profite pour pénaliser la CSDM qui dérange, et récompenser la CSMB qui se fait docile. Qui accepte les compressions. Qui permet à ses dirigeants d'accompagner Philippe Couillard lorsqu'il se rend en mission économique en Chine.

Pardon, vous dites? Tout cela n'a rien à voir? Ah.

Mais dans ce cas, pourquoi un tel remue-ménage? Pourquoi affaiblir la principale commission scolaire de Montréal? Pourquoi lui enlever plusieurs de ses écoles performantes? Et pourquoi faire d'une commission scolaire de banlieue la plus importante de Montréal?

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Au cabinet du ministre Bolduc, on justifie cette décision de toutes sortes de manières (indice supplémentaire de son caractère douteux), sans jamais parler de la réussite des élèves, soulignons-le.

On veut... 1) améliorer l'efficacité des commissions scolaires; 2) décentraliser l'organisation vers les écoles; 3) arrimer les commissions scolaires à un territoire plus «logique».

OK. Mais en quoi le transfert de dizaines de milliers d'élèves d'une organisation à l'autre apportera-t-elle plus d'«efficacité» ? En quoi cela réduira-t-il la bureaucratie? Il faudra tout revoir, de la papeterie à l'administration. Cela créera du mouvement de personnel et d'équipement. Il y aura des chicanes et des différends. Savez-vous quand s'est réglé le dernier litige lié à la déconfessionnalisation des commissions scolaires de 1998? Dix ans plus tard...

En quoi, ensuite, ce brassage apportera-t-il plus de décentralisation? N'est-ce pas plutôt l'inverse? Si on avait vraiment voulu «décentraliser», on aurait demandé aux écoles d'Ahuntsic et du Sud-Ouest si elles voulaient changer de commission scolaire. Non?

Et en quoi le fait de créer une immense commission scolaire dans une portion excentrée de l'île est-il «logique» ? La CSDM a pour territoire le réseau du métro. Et là, on lui extrait des secteurs centraux pour les refiler au West Island: Ahuntsic, Bordeaux, Cartierville...

Vous trouvez qu'il y a une logique à regrouper ces quartiers avec Kirkland et Baie-d'Urfé, vous?

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Vrai qu'il y a des incongruités à l'heure actuelle. Des élèves de Côte-Saint-Luc obligés d'aller dans une école à vocation d'Outremont, par exemple, alors qu'il y en a une dans NDG.

Mais pourquoi tout chambouler pour régler quelques problèmes ici et là? Pourquoi ouvrir la porte à plein de problèmes pour en régler une poignée? Pourquoi proposer un scénario puis le changer complètement le lendemain, sinon pour changer les choses avec l'unique but de les changer?

Prenons les deux scénarios qui circulent. L'école Face est située au centre-ville. Une bonne partie de ses élèves actuels habitent des secteurs qui basculeront du côté de la CSMB. Ils ne changeront pas d'école, soit. Mais les enfants qui grandissent actuellement à Villeray et Saint-Michel n'y auront plus jamais accès? Comme ça, de manière péremptoire?

Et la maman qui s'est installée à Ahuntsic avec l'espoir d'envoyer son garçon au programme international de l'école Joseph-François-Perreault, à Saint-Michel, elle devra mener son enfant dans l'Ouest en auto chaque matin?

On me répondra que des ententes «extraterritoriales» sont toujours possibles. C'est vrai. Mais encore faut-il qu'il reste de la place pour accueillir l'élève d'un autre territoire dans ces écoles à vocation populaires. Que le parent soit prêt à en faire la demande chaque année. Et que l'élève accepte une part d'incertitude dans son cheminement.

Tout cela pour... pourquoi déjà?