Pour la troisième fois depuis son arrivée au pouvoir, le premier ministre Stephen Harper a pris la parole, jeudi soir, devant l'Assemblée générale de l'ONU.

Jean Chrétien s'est adressé à cette tribune trois fois en douze ans. Brian Mulroney, trois fois en huit ans. Sur le plan quantitatif, M. Harper ne fait donc ni mieux, ni moins bien que ses prédécesseurs.

Mais il n'y a pas que la quantité. Le monde vit ces temps-ci des crises d'une rare virulence. Il y a l'avancée du groupe État islamique, ces barbares qui violent, tuent et pillent tout sur leur passage en Irak et en Syrie. Si vous n'en étiez pas encore convaincus, lisez les articles de ma collègue Isabelle Hachey, qui revient d'un reportage en Irak. C'est à glacer le sang.

La guerre civile en Ukraine, elle, s'est apaisée, mais le conflit est loin d'être terminé et l'avenir du pays reste toujours incertain. Et puis, cette épidémie d'Ebola, la fièvre hémorragique qui a déjà fauché 3000 vies, et que l'on ne parvient toujours pas à colmater.

Stephen Harper aurait pu profiter de son passage à l'ONU pour affirmer le point de vue du Canada ne serait-ce que sur ces trois enjeux majeurs.

Il a plutôt choisi d'axer son discours sur l'initiative internationale en santé maternelle, un projet qui lui «tient particulièrement à coeur». Se contentant de mentionner que la «position du Canada sur l'Ukraine, le Moyen-Orient, l'Irak et la Syrie» est déjà bien connue. Point à la ligne.

La santé maternelle, c'est très bien. M. Harper en a fait son cheval de bataille au sommet du G20 de Toronto, il y a quatre ans. Mais quand même, les grandes convulsions planétaires auraient bien mérité quelques mots de sa part. Son silence à ce sujet ressemble en fait à... une nouvelle forme d'absence. Ce n'est plus la politique de la chaise vide. C'est celle du discours vide...

Rappelons que M. Harper s'est fait critiquer à deux reprises pour avoir boudé ce rassemblement de chefs d'État. En 2009, il ne s'y était pas rendu car il devait participer à l'inauguration d'un «centre d'innovation» de Tim Hortons, en Ontario. En 2012, il se trouvait justement à New York, mais avait des rendez-vous plus importants.

Il faut dire que deux ans plus tôt, le Canada s'était vu refuser un siège au Conseil de sécurité de l'ONU - un camouflet sans précédent pour un pays de cette stature. Offusqué, Ottawa avait alors adopté l'attitude de l'enfant qui se sent rejeté et décide de jouer tout seul dans son coin...

Et puis, il n'y a pas que l'ONU. En 2009, le Canada a eu l'honneur de recevoir le «prix fossile» à la conférence climatique de Copenhague. Il a fini par se retirer du protocole de Kyoto. En 2013, il a quitté la Convention sur la lutte contre la désertification. Et pas plus tard que mardi, il a boudé la conférence sur le climat qui a réuni quelque 120 chefs d'État à New York.

En fait, le Canada accuse un tel écart avec les autres pays développés sur la question des changements climatiques qu'il valait presque mieux ne pas être là, constate sombrement le politologue Roland Paris, de l'Université d'Ottawa.

Auteur d'un récent article sur la «décennie de noirceur diplomatique canadienne», ce dernier rappelle que le pays de Stephen Harper se fait aussi de plus en plus discret au sein de l'OTAN, en se désengageant de certains programmes communs, mais aussi en gardant le silence sur des enjeux de fond. «Nous nous sommes complètement retirés de tout débat sur l'avenir de l'Afghanistan, dès le retrait de nos troupes», déplore M. Paris.

Selon lui, ces retraits successifs ont des conséquences et le pouvoir d'influence du Canada fond à vue d'oeil.

Comme d'autres experts, Roland Paris estime que ce n'est pas le bref passage de Stephen Harper à l'ONU qui va changer cette tendance lourde.

Oui, le premier ministre Harper semble vouloir redorer son blason international depuis quelque temps, reconnaît l'ancien ambassadeur du Canada à l'ONU Paul Heinbecker. Mais pour lui, ce ne sont que des changements cosmétiques. «Il essaie de donner l'impression de faire quelque chose, mais dans les faits, il ne fait rien», dit l'ancien diplomate.

Roland Paris est tout aussi sceptique, et les deux experts ne voient dans cette nouvelle présence internationale canadienne que des manoeuvres destinées à la consommation interne. Horizon: élections de 2015.

Et ce n'est pas le discours vide de jeudi soir qui va y changer quelque chose.