Il y a maintenant près de quatre mois que l'armée ukrainienne et les rebelles prorusses soutenus par Moscou s'affrontent dans le Donbass - la région industrielle de l'est de l'Ukraine.

Cette guerre a déjà fait plus de 2000 morts, chassé des centaines de milliers de personnes de leur foyer, plombé la fragile économie ukrainienne et paralysé le pays au point de bloquer les réformes dont il a grand besoin.

Pour la première fois depuis le début du conflit, le président russe Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Petro Porochenko se sont rencontrés, hier, pour des discussions bilatérales de paix.

Mais Vladimir Poutine a eu beau appeler à une solution politique du conflit, sur le terrain, tout indique plutôt une escalade militaire, dans laquelle Moscou joue un rôle de plus en plus visible.

Hier matin, les services secrets ukrainiens ont diffusé des confessions arrachées à des soldats russes capturés en Ukraine. L'un de ces prisonniers a expliqué avoir recouvert sa plaque d'immatriculation de peinture blanche pour des manoeuvres inconnues, et n'avoir découvert que l'Ukraine et la Russie étaient en guerre qu'en voyant des missiles s'abattre sur sa colonne de blindés. Ces explications seraient presque drôles si la situation n'était pas aussi tragique...

Moscou a soutenu que ces parachutistes s'étaient égarés en Ukraine par erreur - admettant ainsi pour la toute première fois que ses troupes ont bel et bien traversé la frontière ukrainienne.

Cet incident s'ajoute à plusieurs autres qui pointent tous dans la même direction: quoi qu'en dise le président Poutine, cette guerre est de moins en moins civile et de plus en plus internationale. «C'est maintenant une guerre directe entre la Russie et l'Ukraine», constate Dominique Arel, directeur de la Chaire d'études ukrainiennes de l'Université d'Ottawa.

Et pour une fois, la preuve à l'appui ne vient ni de l'OTAN ni de Washington, mais de la Russie elle-même.

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Sur le terrain, la situation a beaucoup évolué au cours de l'été. Les rebelles prorusses ont perdu les trois quarts du territoire qu'ils contrôlaient au printemps. Les combats se concentrent maintenant essentiellement autour des deux grandes villes du Donbass, Donetsk et Lougansk. Celles-ci se trouvent carrément en état de siège, et la situation humanitaire y est désastreuse.

Au cours des dernières semaines, l'armée ukrainienne a cessé de gagner du terrain, tandis que les rebelles ont ouvert un nouveau front, plus au sud, sur la route menant vers la Crimée. La Russie veut-elle étendre son emprise au-delà de cette péninsule qu'elle a annexée au printemps? C'est plausible. Mais il faudrait être dans la tête de Vladimir Poutine pour le savoir.

Or, ses intentions sont illisibles. Depuis le début de cette guerre, il souffle le froid et le chaud, alternant entre l'apaisement et la provocation. Hier, à Minsk, il a appelé à un dénouement diplomatique. Mais en même temps, son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, annonçait l'envoi d'un nouveau convoi supposément humanitaire vers l'Ukraine.

Tiens donc: il y a quelques jours à peine, un convoi semblable est entré en Ukraine, sans autorisation et sans être accompagné par la Croix-Rouge. Une expédition qui a exacerbé les tensions et soulevé des soupçons de livraisons secrètes d'armes. Et Moscou remet ça. Comme signe pacificateur, on a vu mieux.

Et pendant que la guerre se prolonge, les nouveaux dirigeants de Kiev s'enlisent dans leurs propres tensions internes. Et ne parviennent pas à implanter les changements au nom desquels ils ont appelé l'ancien président Viktor Ianoukovitch à déguerpir.

Un exemple: une journaliste connue pour ses reportages sur la malhonnêteté de l'ancien régime, Tatiana Tchornovol, et qui a été nommée à la tête d'une agence anticorruption, vient de démissionner de son poste. Je me souviens de l'avoir vue sur une scène du Maïdan, au centre de Kiev, le visage encore contusionné après avoir été battue par les fiers-à-bras d'Ianoukovitch. Une vraie passionaria, qui n'avait peur de rien. Elle a quitté son poste en déplorant que «la corruption, en Ukraine, profite à trop de monde, y compris au sein du nouveau pouvoir...»

Le président Porochenko, élu en mai, vient d'annoncer des élections législatives pour le 26 octobre. Mais la guerre radicalise l'opinion publique, et les électeurs pourraient très bien se jeter dans les bras des candidats les plus fanatiques. Dont Oleh Liachko, un type pas trop fréquentable qui s'est fait connaître en humiliant publiquement des compatriotes qu'il soupçonne de «séparatisme.»

Au fond, c'est peut-être justement l'un des objectifs de Poutine: étirer le conflit aussi longtemps que possible, pour saper l'image du nouveau pouvoir de Kiev. Et rendre ainsi l'adhésion à l'Union européenne impossible.