Décidément, l'ancien vice-président des États-Unis Dick Cheney ne manque pas de culot. Dans un article publié mercredi dans le Wall Street Journal, il dénonce la montée des djihadistes qui sont en train de se répandre à travers l'Irak. Avant de lancer cette phrase assassine : «Rarement un président américain a eu à ce point tort sur autant de sujets, et aux dépens d'autant de gens.»

Sauf que ce n'est pas George W. Bush qu'il a dans la mire. Mais Barack Obama, à qui il reproche d'avoir abandonné l'Irak et laissé ainsi ce pays aux mains de «terroristes».

M. Cheney semble avoir oublié qu'il a été l'un des principaux architectes de la guerre que son propre pays et une poignée d'alliés ont lancée contre l'Irak, en 2003.

Or, c'est cette intervention, lancée sous des prétextes mensongers, qui a conduit l'Irak là où il se trouve aujourd'hui : au bord de l'abîme. Non, le régime de Saddam Hussein n'était pas assis sur une montagne d'armes de destruction massive. Et, non, il n'était pas lié à Al-Qaïda.

Mais l'opération Choc et stupeur et la longue guerre qui a suivi ont créé au fil des ans le chaos nécessaire pour que la fausse menace ayant justifié la guerre finisse par devenir réelle.

Il suffit de se replonger dans les mises en garde publiées à l'époque pour se rappeler à quel point ce qui se produit aujourd'hui était écrit dans le ciel. L'exacerbation des tensions entre la majorité chiite et la minorité sunnite, qui avait eu le monopole du pouvoir sous Saddam Hussein. Le chaos, la guerre civile. Et, finalement, le risque de dislocation de l'Irak en trois territoires contrôlés respectivement par les sunnites, les chiites et les Kurdes.

Saddam Hussein était un dictateur sans pitié qui a dirigé son pays en dressant les Irakiens les uns contre les autres, mais son départ précipité risque de propulser l'Irak «dans de violentes confrontations entraînant le chaos et l'instabilité», prévoyait un rapport de l'International Crisis Group en automne 2002.

Ce plongeon fatal n'arrivera pas du jour au lendemain, m'avait dit le principal auteur du rapport, Robert Malley. «Dans une phase initiale, chaque groupe tentera de voir comment il peut tirer profit de la situation et on pourrait avoir l'illusion que tout va bien, mais à moyen terme, les tensions risquent de ressurgir», avait-il ajouté dans un avertissement prophétique.

À la même époque, l'essayiste française Alexandre Adler, en visite à Montréal, anticipait un scénario de guerre civile et de contamination pouvant s'étendre aux pays voisins.

Les deux experts n'avaient pas tant de mérite que ça : c'est ce qu'écrivaient tous ceux qui connaissaient tant soit peu la région. Et avec raison.

L'Irak n'a jamais vraiment connu la paix depuis la chute de Saddam Hussein. Dès l'effondrement de son régime, les nouvelles autorités ont entrepris une purge qui a marginalisé les sunnites. Les tensions ont fini par exploser, conduisant à une première guerre civile, en 2007.

L'administration Bush y a répondu en intensifiant la guerre. Ce qui a conduit à un apaisement temporaire. Mais les fissures non réparées ont fini par produire une nouvelle explosion. D'autant plus forte que la guerre civile en Syrie Demi-Cadratin que personne ne pouvait prévoir en 2003 Demi-Cadratin a créé un nouveau terrain d'entraînement pour les djihadistes.

Résultat : la guerre menée pour anéantir une menace inexistante a fini par créer précisément ce qu'elle était censée combattre. Et même pire : l'État islamique en Irak et au Levant, qui s'étend à travers le pays et jouit d'une base territoriale en Syrie, est plus puissant et plus dangereux que ne l'a jamais été Al-Qaïda sous Oussama ben Laden.

«Quand M. Obama et son équipe sont arrivés au pouvoir en 2009, Al-Qaïda en Irak avait été pratiquement défaite, grâce aux efforts héroïques des forces armées américaines», écrit Dick Cheney dans le Wall Street Journal.

Dans ce monument de mauvaise foi, il omet de dire que c'est la guerre dont il s'était personnellement fait l'apôtre qui a permis à Al-Qaïda de faire son nid en Irak. Et que c'est pendant que Washington pourchassait les leaders d'Al-Qaïda qu'un nouveau mouvement radical, encore plus effrayant, a pu planter ses racines dans ce pays.

Dick Cheney reproche à Barack Obama d'avoir retiré les troupes de l'Irak en 2011. Mais cette guerre qui a coûté la vie à près de 5000 soldats américains, entraîné la mort de plus de 100 000 civils et des dépenses de plus de 2 billions de dollars était devenue une épine au pied de Washington.

À un point tel, d'ailleurs, que l'entente prévoyant le retrait américain avait été signée par George W. Bush en personne, avant que Barack Obama ne lui succède.

La défaite des républicains à l'élection présidentielle, en 2008, était d'ailleurs due en grande partie à cette guerre absurde, destructrice et contre-productive.

Une guerre qui risque de reprendre de plus belle, alors que l'Irak appelle les États-Unis à l'aide pour chasser les insurgés qui menacent de s'en prendre à Bagdad.