Malheureusement, les gens d'affaires participent peu aux débats publics, si ce n'est par l'entremise d'associations telles que le Conseil du patronat et la Fédération des chambres de commerce. Aussi doit-on se réjouir lorsque l'un d'eux, en l'occurrence le patron de Cogeco, Louis Audet, exprime haut et fort son point de vue, qu'on soit d'accord ou non.

S'adressant mardi à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, M. Audet a déclaré que le projet de Charte des valeurs du gouvernement Marois aurait un effet néfaste sur l'économie de la province. Le projet de loi 60, a-t-il dit, «est perçu comme une stratégie d'exclusion xénophobe, le contraire de la société multiculturelle et ouverte que nous sommes. Ce message n'est pas de nature à attirer chez nous les immigrants dont nous dépendons pour notre croissance économique.»

C'est un aspect de la question qui n'a pas été abordé depuis le début du débat sur l'interdiction des signes religieux. L'impact économique de la Charte des valeurs, si elle devient loi, ne se verra pas tout de suite. Il sera difficile à distinguer des autres facteurs déterminant la conjoncture. Des personnes qualifiées quitteront la province. D'autres ne viendront pas. Quelques entreprises décideront d'investir ailleurs. Ça ne sera pas l'hécatombe. Mais, compte tenu des problèmes économiques auxquels le Québec fait déjà face (problèmes bien documentés dans une étude publiée hier par le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC-Montréal), pouvons-nous nous permettre de repousser ainsi des travailleurs, des investisseurs?

Le président de Cogeco a aussi déploré la méfiance de nombreux Québécois à l'endroit du secteur privé. Dans un sondage CROP commandé par l'entreprise, 48% des personnes interrogées jugent que «les entreprises nuisent beaucoup plus à la société qu'elles ne l'enrichissent.» Bien sûr, le secteur privé a ses torts, et certaines compagnies se soucient trop peu du bien commun. Cela dit, malgré la place considérable de l'État au Québec, ce sont bien les entreprises qui génèrent la plus grosse part de la croissance et des emplois dans la province.

L'hostilité envers le secteur privé pèse lourd dans l'hésitation des Québécois à exploiter les ressources en hydrocarbures que recèle peut-être le sous-sol de notre territoire. Pourtant, seules les sociétés privées peuvent prendre les risques associés au secteur de l'énergie. Les données de l'étude de HEC-Montréal ont de quoi faire réfléchir: les trois provinces qui produisent le plus de pétrole et de gaz - l'Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador - sont, de loin, celles jouissant du niveau de vie le plus élevé.

Louis Audet a raison: pour une nation relativement pauvre comme la nôtre, adopter des politiques hostiles aux minorités et au secteur privé, c'est «jouer avec le feu.»