Le principal obstacle que rencontrera le gouvernement Marois dans ses efforts pour faire accepter sa Charte des valeurs ne proviendra ni des libéraux, ni des caquistes, ni des nombreux organismes qui en soulignent les failles, comme le Barreau. Ce qui risque de faire dérailler le projet, c'est un trait de caractère bien québécois, sa convivialité.

Le débat sur la Charte et sur la laïcité, on l'a bien vu depuis quelques mois, porte essentiellement sur l'interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique. Sur le reste - l'affirmation de la laïcité ou de l'égalité hommes-femmes, la nécessité de baliser les accommodements -, tout le monde est pas mal d'accord.

On voit bien aussi que le débat sur le port de signes religieux ostentatoires se résume au port du voile islamique et, par extension, sur l'intégrisme musulman.

Le dernier sondage sur la question, plus tôt cette semaine, réalisé par Léger Marketing pour The Gazette et l'Institut canadien des identités et de l'immigration, indique que l'appui à la Charte s'établit à 48%, contre 38% d'opposants. Il ne s'agit pas d'un consensus solide des Québécois, comme le dit le ministre Bernard Drainville. Mais chez les francophones, les partisans de la charte dominent nettement les opposants, à 57% contre 30%.

Sans vouloir caricaturer les partisans de cette charte, on a pu noter qu'on y retrouve un grand nombre de Québécois francophones vivant hors des grands centres urbains, encore attachés au catholicisme, qui manifestent une certaine crainte de l'immigration, encore plus quand elle est musulmane. C'est cette clientèle qui transforme ce débat en enjeu électoral. Le Parti québécois a misé, avec succès, sur un trait de caractère de la société québécoise francophone, minoritaire et très sensible à ce qu'elle perçoit comme des menaces à son identité.

Mais dans ce débat, il faut tenir compte d'un autre trait de l'âme canadienne-française: une société conviviale, peu violente, qui privilégie l'harmonie collective et la gentillesse dans les rapports interpersonnels. Il y a ici extrêmement peu de manifestations de racisme violent, pas de Ernst Zundel, pas de Front national, pas de Dieudonné, pas de Tea Party.

Ce trait de caractère, le dernier sondage Léger Marketing le mesure bien en demandant si un employé du public refusant de retirer un symbole religieux devrait perdre son emploi. À peine 35% des Québécois croient que oui et 51% s'y opposent. Chez les francophones, 40% sont faveur du congédiement et 49% sont contre.

Ce n'est pas une expression de confusion, mais un désir très clair que ce dossier chemine dans l'harmonie et la pondération. On le voit aussi au fait que 54% des francophones souhaitent que la Charte soit étudiée par les tribunaux pour en vérifier la constitutionnalité, contre 32% qui disent le contraire.

Sans cette menace de congédiement, l'interdiction des signes religieux devient un symbole creux. Et sans l'interdiction de signes religieux ostentatoires, le projet du gouvernement Marois se dégonfle et ne peut plus lui servir de levier électoral.

Cela place le ministre Drainville dans une position délicate. Il doit jouer la carte de la fermeté, accusant ses adversaires de mollesse sur un mode qui suggère la surenchère virile, tout en prenant soin d'éviter les allusions à la question qui tue, celle du congédiement.

Plus on entrera dans les détails et plus le débat sera difficile. Les francophones, pour qui il s'agit souvent d'un débat abstrait - car ils sont peu en contact avec l'immigration -, pourront peu à peu mettre un visage sur les victimes de la Charte. Ils auront le réflexe sera de dire: «On n'aime pas le voile, mais ne mettez pas Khadija dehors!». Ce qui menacera le gouvernement Marois, c'est un boomerang qui s'appelle gentillesse.