Un lundi soir au centre Paul-Sauvé, au gala de lutte hebdomadaire, il était onze heures moins dix et il restait la finale avec Mad Dog Vachon. Nous savions tous que le couvre-feu de la Ville était fixé à onze heures pile et qu'il fallait immédiatement quitter les lieux.

Et Mad Dog? Ils n'allaient quand même pas nous priver de notre idole, celui qu'on était venus voir?

Mad Dog est monté dans l'arène comme un chien fou. Ce monsieur pouvait soulever une salle juste en apparaissant. Pendant que l'annonceur maison présentait les lutteurs, Mad Dog a agressé son adversaire par-derrière, il l'a mordu, griffé, assommé.

L'arbitre a immédiatement disqualifié Mad Dog et levé le bras du pauvre vainqueur par défaut. Il était onze heures moins une, le temps de partir.

Bonsoir et merci.

On s'était dit: quel professionnel, ce Mad Dog! Juste à temps pour le couvre-feu!

Les jeunes sportifs de Rosemont que nous étions traînaient parfois dans les environs et les coulisses de l'aréna Paul-Sauvé dans l'espoir de croiser des lutteurs. Ils étaient tous gentils, mais nous voulions voir Mad Dog Vachon. Il nous invitait dans son vestiaire, il s'assoyait avec nous, il blaguait, on était heureux à ses côtés.

* * *

Bien des années plus tard, j'ai amené mon fils à l'ouverture du Mad Dog Burger de la rue Masson, une des entreprises du lutteur qui n'ont pas fonctionné. Julien ne parlait pas encore, mais il était fasciné par l'image de Mad Dog Vachon que nous voyions les samedis matin à Télé-Métropole.

Moi aussi, d'ailleurs, parce que Mad Dog Vachon avait plus d'esprit que la majorité des humoristes de nos jours. Il était bon comédien aussi.

Une fois, au Mad Dog Burger, qui devait fermer ses portes peu de temps après, j'ai fait les présentations. Mad Dog, qui avait six enfants, a pris le petit sur ses genoux et lui a parlé pendant une heure, en signant des autographes. L'enfant était séduit, parfaitement à l'aise dans le bras de ce gros monsieur barbu.

«Toute ma vie, j'ai voulu être haï, mais je n'ai pas réussi», avait-il l'habitude de dire au cours des dernières années.

Comment ne pas aimer Mad Dog Vachon?

La dernière fois que je l'ai vu, c'était dans la chambre d'un centre hospitalier où il résidait pendant un séjour à Montréal. Il était vieux, nu, il lui manquait une jambe et j'ai aidé son infirmier personnel à poser sa prothèse et à l'habiller. Lorsque je lui ai mis le noeud papillon qui accompagnait sa tenue de gala, j'étais honoré.

Mad Dog se laissait gâter, mais il n'arrêtait pas de rire et de parler.

Il racontait sa jeunesse dans le sud-ouest de Montréal, près de l'hôpital Douglas, l'«hôpital des fous». Un jour, un des fous lui a fait une peur dont il se souvenait encore.

Il était à Montréal pour son intronisation au Panthéon des sports du Québec. Pendant la soirée, pendant que les autres intronisés semblaient trouver le temps long, Mad Dog n'a jamais cessé de sourire et de parler. Il faisait des high five, il posait les pouces en l'air pour les photographes. Son charisme était intact.

Comment ne pas aimer cet homme qui à une époque donnait le meilleur spectacle en ville et qu'on aurait voulu écouter pendant des heures?

J'ai croisé son frère Paul, avec qui il luttait parfois en duo, il y a deux semaines. Paul me disait que Maurice était toujours, toujours de bonne humeur. Il allait le voir au Nebraska chaque année. «Sa santé est bonne, mais il commence à perdre la mémoire. C'est normal à 84 ans.»

Mad Dog est mort dans son sommeil hier matin.

Je vais sortir ma vieille photo autographiée, celle où il est enchaîné et menace de se libérer.

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Dans la section des sports de La Presse, à une époque, il était d'usage d'envoyer un petit nouveau devant un personnage imposant. Le jeune homme en question avait demandé à Mad Dog depuis combien de temps il luttait.

- Depuis 40 ans.

- Et vous avez quel âge?

- J'ai 45 ans.

- Ça n'a pas de sens, M. Vachon.

- Est-ce que tu as envie de faire une longue carrière dans le journalisme?

On pouvait toujours compter sur Mad Dog Vachon pour rigoler un bon coup.