«Quelqu'un doit dire quelque chose», a écrit dimanche sur Twitter le producteur et musicien britannique Nigel Godrich. «Ça ne peut plus continuer comme ça», a-t-il annoncé, en lâchant une petite bombe: lui et Thom Yorke, vénéré chanteur du groupe Radiohead, retirent leurs oeuvres de la populaire plateforme numérique de musique Spotify.

La disparition des trois albums (un de Yorke, un de Godrich, et un projet commun) ne fera pas une grande différence sur les 20 millions de titres que compte le catalogue Spotify - d'autant plus que les albums de Radiohead, eux, y figurent toujours. Mais la décision des deux artistes britanniques relance la polémique sur les droits d'auteurs, et fait réfléchir sur notre consommation de la musique.

Spotify - disponible dans une trentaine de pays, mais pas encore au Canada - est l'un des nombreux sites internet légaux d'écoute de musique qui ont émergé dans la foulée de la fermeture de la plateforme d'échange Napster en 2001. En s'inscrivant à Spotify (gratuitement ou en s'abonnant à un forfait de 5$ ou 10$), l'internaute peut écouter à sa guise les pièces musicales de la collection. Dans le monde, Spotify compterait quelque 24 millions d'utilisateurs, dont 6 millions d'abonnés.

À la différence de Napster, Spotify et les autres sites du genre fonctionnent sur des bases légales, rémunérant les artistes pour la diffusion de leurs oeuvres.

Mais c'est justement le montant famélique des redevances remises aux artistes qui est à l'origine du retrait des oeuvres de Yorke. Le succès de Radiohead permet à Thom Yorke de se consacrer à sa musique. Mais c'est pour le principe qu'il s'insurge. «Les artistes émergents ne reçoivent que des miettes» alors que les actionnaires de ces compagnies passent à la caisse, dénonce Godrich. «C'est une équation qui ne marche tout simplement pas.»

En effet. Treize ans après le début de la fin du disque, les musiciens cherchent encore un modèle rentable pour vivre de leur art.

La légalisation des plateformes comme Spotify laisse supposer que les artistes reçoivent désormais une part convenable de revenus dont le piratage les prive. Ce n'est pas le cas. Tous les artistes le diront: une infime fraction seulement du prix de téléchargement revient dans leurs poches, encore moins quand il s'agit des plateformes de musique en continu comme Spotify. Pour un groupe comme Pink Floyd qui récupère ainsi quelques centaines de milliers de dollars pour des vieilles chansons, des milliers d'artistes moins connus ne peuvent espérer tirer de ce modèle de quoi créer des albums cultes qui inspireront une génération.

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Dans sa réplique à Thom Yorke, Spotify dit avoir versé 500 millions de dollars aux ayants droit en 2012. Nigel Godrich répond que les trois grandes maisons de disque (Warner, Sony et Universal) recueillent une bonne part du gâteau, notamment grâce à des oeuvres dont les auteurs sont décédés. Est-ce qu'un artiste vivant ne devrait pas avoir droit à plus d'argent, demandent les deux musiciens? Les gouvernements ne devraient-ils pas forcer ces nouveaux diffuseurs de musique à redistribuer autrement leurs profits?

Il faudra bien, en effet, se pencher sur un partage plus équitable des revenus. Malgré la désaffection de certains artistes, les sites d'écoute de musique en continu sont là pour rester. Mais les créateurs, eux? «Si les gens avaient écouté Spotify au lieu d'acheter des disques en 1973, je doute beaucoup que [l'album] Dark Side of the Moon aurait pu voir le jour», a écrit Nigel Godrich. «Il aurait coûté trop cher.»