Il y a deux ans que la Syrie nous fournit son lot quotidien d'atrocités. Mais une vidéo accessible sur l'internet depuis trois jours pousse l'horreur à un niveau d'inhumanité inégalé. Même à l'échelle de ce conflit, qui nous a habitués au pire.

Le clip de 27 secondes montre un homme en tenue de camouflage qui s'acharne sur un corps étendu sur le sol. Il découpe le torse du cadavre pour en extirper deux organes sanguinolents.

«Nous jurons devant Dieu que nous mangerons vos coeurs et vos foies, soldats de Bachar le chien», lance-t-il ensuite, avant d'appeler les rebelles à «massacrer les alaouites» - minorité religieuse à laquelle appartient le président syrien. Puis l'homme fait mine de mettre à exécution sa menace cannibale, en croquant dans un morceau de chair.

La vidéo s'arrête là, mais ces images suffisent à provoquer un immense haut-le-coeur. Et je vous invite fortement à ne pas les chercher sur YouTube...

La diffusion de cette vidéo profite en premier lieu au régime Assad, qui n'est que trop heureux de montrer que ses opposants sont des sauvages sans scrupules. Faut-il y voir une tentative de manipulation? Pas du tout, répond Human Rights Watch, qui a identifié le protagoniste du clip: un chef rebelle répondant au surnom d'Abou Sakkar.

Les enquêteurs de Human Rights Watch ont scruté ses vêtements, reconnu la cicatrice sur son oeil gauche, parlé avec quatre journalistes qui avaient eu l'occasion d'interviewer ce commandant rebelle. Ils sont formels: l'homme qui se livre à ces actes abjects devant l'objectif de la caméra est bel et bien l'un des membres fondateurs de la brigade Al-Farouq, l'une des principales forces rebelles en Syrie. Il en a divorcé en octobre, pour fonder son propre peloton de quelques dizaines de combattants.

Pour Peter Bouckaert, de Human Rights Watch, la position occupée par le héros de ce film d'horreur au sein de la rébellion syrienne est particulièrement troublante. Il a été au coeur de la bataille sans merci que le régime syrien a menée, il y a un an, contre une enclave rebelle dans la ville de Homs. Sa nouvelle brigade combat les troupes du régime dans une bataille décisive, visant à contrôler la petite ville de Qusair, lieu de passage des armes et des combattants étrangers du Liban vers la Syrie.

L'exemple de cruauté vient de haut...

La haine aveugle qui suinte de cette vidéo est également troublante: «L'ennemi n'est plus le soldat syrien, mais toute la communauté alaouite», déplore Peter Bouckaert.

Ce n'est pas le premier signe d'un glissement vers une guerre sectaire, suivant les lignes de division confessionnelles entre musulmans sunnites et alaouites, une branche de l'islam chiite.

Le 2 mai, des rebelles syriens ont vandalisé les tombes de saints chiites à Damas. Le même jour, des dizaines de corps massacrés ont été découverts dans les villes de Baniyas et Bayda, dans ce que des témoins décrivent comme une «opération d'épuration religieuse» conduite par le régime. La vidéo de cette semaine ajoute un élément d'horreur à une tendance de plus en plus lourde et terrifiante.

Ce n'est pas non plus la première fois que des images d'une insoutenable cruauté sont utilisées, à dessein, dans ce conflit que certains décrivent déjà comme la première guerre à utiliser YouTube comme un champ de bataille.

Car cette vidéo n'a pas été captée à l'insu d'un chef de guerre qui aurait préféré camoufler son crime. Au contraire, celui-ci s'est laissé filmer avec enthousiasme. D'autres vidéos montrent les «shabihas», ces terribles milices du régime, en train de mutiler les corps de leurs ennemis. Ou alors un rebelle brandissant la tête d'un soldat du régime, tel un trophée. Les deux parties cherchent à semer la terreur. Y compris sur l'internet.

Peter Bouckaert espère que la vidéo de cette semaine servira de signal d'alarme à la communauté internationale, l'incitant à tout le moins à saisir la Cour pénale internationale des crimes de guerre qui se déroulent en Syrie.

En attendant que le Conseil de sécurité en arrive enfin là, la vidéo donne de puissants arguments à tous ceux qui répugnent à armer les rebelles syriens. Car même si le leadership de l'Armée syrienne libre a dénoncé cet acte de barbarie, il exerce bien peu de pouvoir dans ce pays qui s'enfonce de plus en plus dans le chaos. Et où les armes données en toute bonne foi ont de bonnes chances de finir, un jour, entre les mains d'un homme comme Abou Sakkar.