Le gouvernement Marois, isolé dans son intention d'appliquer la loi 101 aux entreprises de 25 à 49 employés, a reçu un appui de taille la semaine dernière, avec l'avis du Conseil supérieur de la langue française, qui recommande de les soumettre à une démarche obligatoire de francisation.

Mais quand on lit bien ce fameux rapport, on découvre que cet appui est surtout moral. Le CSLF ne fait rien pour aider le gouvernement à résoudre le problème qui explique pourquoi aucun gouvernement n'a voulu imposer la loi 101 aux PME: le risque que la lourdeur des procédures et des contrôles administratifs nuise aux petites entreprises.

Tout le monde est assez d'accord sur le fond. Il faut que les petites entreprises fonctionnent le plus possible en français. Parce que c'est un lieu d'intégration des immigrants. Parce que c'est l'une des composantes de l'espace public. Parce que c'est un droit des francophones de pouvoir travailler au Québec dans leur langue. Mais la situation actuelle justifie-t-elle un coup de barre majeur, comme le veut le projet de loi 14 qui modifie la Charte de la langue française?

La démonstration du conseil n'est pas très convaincante. Tout d'abord, parce qu'il note que l'utilisation du français par des travailleurs allophones «s'est accrue significativement». La proportion de ceux qui parlent généralement français, soit plus de 90% du temps, est passée de 17% à 31% entre 1971 et 2010, et pour ceux qui le parlent régulièrement, entre 50% et 89% du temps, elle est passée de 25% à 37%. Ce progrès s'explique en partie par la nature de l'immigration et par le rôle de l'école, mais il atténue le sentiment d'urgence.

L'inquiétude exprimée par le conseil tient plutôt à la progression de l'utilisation de l'anglais et de l'exigence du bilinguisme au travail depuis 25 ans. Cette tendance lourde s'explique en bonne partie, mais pas seulement, par le rôle croissant de l'anglais comme langue universelle de communication.

Mais ce processus est similaire dans les petites entreprises et les grandes. Entre 1997 et 2010, dans les entreprises de 50 employés et moins, la proportion de ceux qui parlaient généralement français au travail est passée de 41,1% à 32,4%. Dans les plus grandes entreprises, elle est passée de 40,9% à 32,1%. Pareil. Parallèlement, la part de ceux qui parlent français le plus souvent est passée de 30,2% à 37% dans les petites entreprises, et de 31,7% à 35,9% dans les grandes. Encore pareil.

Si les petites entreprises, qui ne sont pas assujetties à la loi 101, font aussi bien que les plus grandes qui y sont soumises, pourquoi serait-il urgent et utile de leur imposer les lourds mécanismes de cette loi?

D'autant plus qu'il y a un coût à cela. Le nombre d'entreprises soumises à la loi, actuellement 6120, ferait plus que doubler. Et surtout, il faudrait trouver une façon d'appliquer la loi sans pénaliser et écraser ces PME.

«Le conseil ne veut pas trop s'avancer sur la procédure à privilégier pour la certification des entreprises de 25 à 49 personnes, sinon pour insister sur le fait que le mécanisme à mettre en place devrait être souple et plus simple à gérer que celui qui s'applique aux entreprises de 50 personnes et plus.» Bref, il ne s'agirait pas d'appliquer telle quelle la loi 101, mais plutôt de la réinventer. Sans dire comment. Ce qui laisse le problème entier.

La sagesse, dans ce dossier, c'est de laisser sa chance à l'approche des mesures incitatives, quitte à y consacrer plus de passion et plus de ressources. On éviterait de créer un monstre bureaucratique. Et ça permettrait de ficher la paix aux PME.