Pour souligner son 93e anniversaire, Stéphane Hessel a publié un opuscule dénonçant la dictature de l'argent et appelant à la protestation généralisée. C'était en octobre 2010 et le vieil humaniste avait du flair. Non seulement son Indignez-vous! s'est-il vendu à plus de 4 millions d'exemplaires, mais il a aussi inspiré le mouvement de révolte qui a déferlé sur la planète en 2011, de l'Espagne à la Grèce, en passant par Wall Street et Montréal.

Son manifeste n'était pas le plus adroit des coups de gueule, mais il tombait à point. Belle fin de carrière pour l'ancien résistant qui a mené de front une carrière de diplomate, d'écrivain et de militant.

Stéphane Hessel est mort, mardi, à l'âge de 95 ans. Il laisse derrière lui des protestataires fatigués, des révolutions qui dérapent... mais tout autant de raisons pour nourrir l'indignation. En voici quelques-unes, inspirées par l'actualité récente.

L'irresponsabilité

L'ONU vient de rejeter les demandes d'indemnisation des proches des victimes de l'épidémie de choléra qui s'était abattue sur Haïti en octobre 2010. Plus de 7000 Haïtiens en sont morts et des centaines de milliers ont été contaminés. L'épidémie s'est apaisée depuis, mais n'est pas disparue pour autant.

Raison du rejet: l'ONU estime que la plainte est «irrecevable». On peut comprendre que l'organisation internationale répugne à s'embarquer dans un processus de compensation complexe et coûteux. Mais malgré des études successives confirmant qu'un contingent de Casques bleus népalais est à l'origine de l'infection, les Nations unies s'entêtent à jouer l'autruche. Elles n'ont jamais reconnu leur responsabilité dans cette catastrophe humanitaire.

Pourtant, les épidémiologistes sont formels: les premiers cas de choléra sont apparus après que les Casques bleus népalais ont déversé des eaux d'égout dans un affluent de la rivière l'Artibonite. Ils n'ont pas fait exprès pour contaminer les eaux voisines de leur campement. Ils ignoraient probablement que l'un d'entre eux était porteur de la funeste bactérie. Mais leur négligence a causé des milliers de morts, dans un pays déjà à terre à cause du séisme de janvier 2010. Par respect pour les victimes, mais aussi pour sauver sa crédibilité dans un pays où elle en a de moins en moins, l'ONU devrait à tout le moins reconnaître la vérité. Et assumer la responsabilité qui vient avec.

L'aveuglement

Le cardinal Keith O'Brien, plus haut responsable de l'Église catholique britannique, ne participera pas au prochain conclave. Il a aussi démissionné de son poste d'archevêque. Officiellement, Benoît XVI a accepté sa démission parce que l'homme approchait de l'âge de la retraite. Mais la décision survient à la suite de la publication d'un article-choc par le journal The Observer, citant des prêtres qui accusent le cardinal de «conduite déplacée.»

Un autre cardinal catholique, Roger Mahony, de Los Angeles, fait l'objet d'une pétition visant à l'empêcher de participer à l'élection du prochain pape. Raison: il a protégé des prêtres pédophiles.

Décidément, ces histoires d'agressions sexuelles et de pédophilie collent à la peau de l'Église catholique. Le prochain pape finira-t-il par se rendre à l'évidence? Le célibat des prêtres n'est pas bon pour la santé. Ni celle des ecclésiastiques ni celle de ceux qui ont à les fréquenter...

Le délire

En Tunisie, de jeunes salafistes s'en sont violemment pris à un groupe d'étudiants qui s'apprêtaient à exécuter le fameux Harlem Shake, le numéro de danse vaguement impudique qui fait fureur ces jours-ci sur YouTube. En Égypte, c'est la police elle-même qui a décidé de stopper la danse virale, en arrêtant quatre étudiants en pharmacologie qui s'étaient filmés en train de danser le Harlem Shake en petite tenue. C'est du délire: ils ont pas d'autres problèmes, dans ces pays?

Le déclin moral

Plus le conflit israélo-palestinien s'éternise, plus les opinions se radicalisent, en Israël comme en Palestine. Un récent sondage documente ce phénomène avec des chiffres effarants. Ça concerne les relations des Juifs israéliens avec leurs compatriotes arabes, qui composent 20% de la population de l'État hébreu.

En vrac: près de 60 % de Juifs israéliens préfèrent que les postes gouvernementaux soient occupés par des Juifs plutôt que des Arabes; 49 % souhaitent que l'État accorde un traitement préférentiel aux citoyens juifs; 42 % ne veulent pas vivre dans des immeubles où habitent des Arabes; 42 % ne veulent pas que leurs enfants fréquentent les mêmes écoles que les enfants arabes.

Et un tiers voudrait priver les citoyens arabes de leur droit de participer aux élections israéliennes.

La gauche israélienne déplore depuis longtemps l'érosion morale qui découle de l'occupation d'un autre peuple. C'est ce qu'illustre ce sondage, reflétant, selon le journaliste israélien Gideon Levy, l'image d'une société «très, très malade...»