Pour des gens de ma génération, qui ont connu le Québec d'avant l'effondrement de l'Église, un sommet provoque un sentiment de déjà vu. Ces grands-messes socio-économiques ont bien des similitudes avec les messes de mon enfance, avec leurs prêtres, leurs diacres, leurs rituels, et leurs palabres interminables. Sans oublier les louables efforts des fidèles pour lutter contre la somnolence.

Mais le Sommet sur l'enseignement supérieur de lundi et mardi a aussi suscité en moi un autre genre de réaction, que j'appellerais une dislocation spatio-temporelle, l'étrange sensation d'être transporté ailleurs, tant dans le temps que dans l'espace.

À certains égards, ce Sommet était une sorte de machine à voyager dans le temps. Il était difficile d'oublier le premier sommet, parce que c'est toujours le modèle, celui que René Lévesque a convoqué en 1982. Mais surtout, on n'a pas arrêté de multiplier les références à Mgr Alphonse-Marie Parent, à qui le Jean Lesage avait confié la présidence d'une commission royale d'enquête sur l'éducation en 1961.

Le rapport Parent a joué un rôle central dans la Révolution tranquille. Mais ses travaux s'inscrivaient dans le contexte précis de l'époque, une société peu éduquée qui n'avait même pas de ministère de l'Éducation. Ses auteurs, par exemple, rêvaient de gratuité universitaire. So what? Jusqu'où peut-on s'inspirer d'une réflexion d'il y a un demi-siècle? J'y vois davantage une manifestation du passéisme rampant, de la tendance à la sacralisation qui s'empare du Québec dès qu'on touche à la Révolution tranquille.

Mais le Sommet nous a emportés dans un autre voyage. Pas dans un autre pays, mais plutôt dans un autre monde, dans un Québec inventé, qui ne ressemble pas au Québec réel. Un sommet, en principe, est une réunion de partenaires censés représenter et refléter la réalité de la société dont ils sont issus. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé.

Qui étaient les participants? Des politiciens, beaucoup de syndicats, de nombreuses associations étudiantes, des organismes du monde de l'éducation, et une foule de représentants de la «société civile» - organismes patronaux, fédération des femmes, autochtones, conseil de la coopération, chantier de l'économie sociale - qui défendent chacun leur petit coin de jardin. Et surtout, beaucoup d'absents: les parents, les contribuables, de vrais employeurs, des chercheurs. Le vrai monde n'était pas là.

En plus, les participants, essentiellement des dirigeants et porte-parole d'organismes, peu importe qui ils représentent, appartiennent à une même caste, celles des professionnels du monde associatif, ce qui est également vrai pour les leaders étudiants. Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient accueilli avec enthousiasme le principal consensus du forum, la multiplication des chantiers. Plus de réunions? Plus de colloques? C'est leur métier!

Ce qu'on observe aussi, c'est la convergence idéologique des participants, à l'exception du monde patronal. Nous étions en terre de casseroles, avec les étudiants, la surreprésentation syndicale, et la foule d'organismes sociaux qui penchent du même côté. On était loin de M. et Mme Tout-le-Monde, dont le portrait-robot nous a été donné par les derniers résultats électoraux. Tous ces partenaires sont en général à l'aise avec un gouvernement du Parti québécois, ce qui donnait au Sommet un petit air de réunion de famille où Mme Marois était comme un poisson dans l'eau.

Le hic, c'est que ce genre de rencontre s'appuie davantage sur la force d'inertie du corporatisme que sur le désir de changement. On l'a vu à la rapidité avec laquelle l'idée de moduler les frais de scolarité a été balayée. Et ça ne changera pas, parce que les étudiants, qui doivent incarner le renouveau, n'ont pas brisé le moule. Ils ont plutôt pris le relais de leurs aînés, comme si le Québec tournait en rond.