Commençons par cet extrait tiré d'un manuel d'arabe destiné à des élèves palestiniens de 2e année du primaire:

Ils sont arrivés en prison à 7 h du matin, ils ont attendu longtemps en face du portail. Trois heures après leur arrivée, le garde les a regardés et leur a dit: «Les visites sont interdites aujourd'hui.»

Poursuivons par cet autre texte, tiré d'un manuel de lecture pour élèves de 2e année, cette fois en Israël:

Un jour, les Arabes ont attaqué Tel Hal. Trumpeldor et ses courageux camarades ont été héroïques. [...] Il a repoussé les Arabes, mais a été grièvement blessé dans la bataille. Dans les derniers moments de sa vie, ses lèvres ont bougé: «Ce n'est rien, c'est bon de mourir pour mon pays.»

Pendant que les jeunes Palestiniens apprennent à lire avec des histoires de détenus croupissant dans quelque prison israélienne, leurs homologues de Tel-Aviv et de Jérusalem, eux, déchiffrent l'hébreu à travers les aventures d'un guerrier infligeant une défaite aux méchants Arabes.

Côté palestinien, le point de vue de la victime soumise à une justice impitoyable. Côté israélien, celui du combattant victorieux qui profite de son dernier souffle pour exprimer son patriotisme.

Ces deux exemples de lecture croisée proviennent d'une recherche documentant, sur des centaines de pages, le gouffre qui sépare les écoliers palestiniens et israéliens, dès leurs premiers jours d'école. Commanditée par le Conseil des institutions religieuses de la Terre Sainte et financée par le département d'État américain, cette recherche a permis de scruter 74 manuels utilisés en Israël et 64 manuels palestiniens, pour voir de quelle manière leurs partis pris alimentent les perceptions mutuelles.

Les chercheurs ont analysé plus de 3000 extraits de textes, en arabe et en hébreu, enseignés dans des écoles publiques et privées, laïques et religieuses - un travail colossal, d'une ampleur sans précédent.

Leur premier constat est plutôt positif: rien, dans ces livres, ne justifie les reproches de «diabolisation» que Palestiniens et Israéliens se lancent mutuellement. Aucun manuel scolaire ne présente «l'Autre» sous les traits d'un monstre. Les livres palestiniens ne sont pas bourrés de clichés antisémites et n'appellent pas à la destruction d'Israël. Les livres israéliens ne déshumanisent pas les Palestiniens et ne les présentent pas sous les traits de féroces terroristes.

Mais les bonnes nouvelles s'arrêtent là. Car les chercheurs constatent aussi que les manuels décrivent l'autre peuple essentiellement sous les traits d'un ennemi cherchant à dominer ou détruire son voisin. L'histoire n'est enseignée que d'un seul point de vue. «Tous les faits enseignés aux élèves sont véridiques, mais ils ne présentent que l'aspect négatif de l'autre peuple, et pratiquement rien de positif», souligne Bruce Wexler, chercheur principal de cette vaste équipe qui a mis à contribution des experts palestiniens et israéliens.

Les livres édités par le gouvernement israélien sont moins tendancieux que les manuels des écoles religieuses juives ultra-orthodoxes ou que ceux de l'Autorité palestinienne, constatent les chercheurs. Mais c'est une mince consolation quand on sait que plus du quart des écoliers juifs israéliens fréquentent ces écoles ultrareligieuses - et que leur nombre ne cesse d'augmenter.

Le constat le plus intéressant, toutefois, touche l'enseignement de la géographie. Les chercheurs ont étudié 83 cartes utilisées dans les écoles palestiniennes et environ 200 cartes étudiées en Israël. Côté palestinien, 58% des cartes présentent une grande Palestine s'étirant du Jourdain à la Méditerranée, sans la moindre référence à l'existence d'Israël. Et à peine trois cartes identifient l'État hébreu!

Les cartes israéliennes ne font pas mieux. Les trois quarts d'entre elles ignorent la séparation entre territoires israéliens et palestiniens, comme si la Cisjordanie faisait partie intégrante d'Israël.

Côté palestinien, cette géographie fictive perpétue la nostalgie d'un pays perdu. Mais sur le terrain, les Palestiniens n'ont pas le choix de connaître les frontières réelles du territoire où ils ont le droit de se déplacer. Avec leurs cartes imaginaires, les Israéliens, eux, finissent par ne plus distinguer les contours de l'ancienne «ligne verte», la frontière d'armistice qui a défini le territoire de leur pays jusqu'à la guerre de 1967.

Un oubli géographique qui a des conséquences politiques explosives, selon Bruce Wexler: «Des deux côtés, on finit par voir toute division du territoire comme une défaite.»