Rien ne prédestinait Mohamed Morsi à diriger l'Égypte pendant l'une des périodes les plus délicates de son histoire. Cet ingénieur civil spécialiste de la «conductivité électrique à haute température» a été recruté par les Frères musulmans pendant qu'il poursuivait ses études en Californie, où ses deux premiers fils ont vu le jour.

Il a grimpé discrètement les échelons de l'organisation islamiste, et même s'il a été élu député en 2000, sous une étiquette d'indépendant, c'est surtout dans l'ombre qu'il a fait sa marque.

Invité à une rencontre des Frères musulmans, peu avant la chute de la dictature égyptienne, le politicologue Mustapha al-Sayyid a été surpris de constater à quel point cet homme austère et peu charismatique semblait puissant au sein de l'organisation islamiste. Mohamed Morsi était alors assis à côté du guide suprême des Frères musulmans, Mohammed Badie. Pendant que celui-ci faisait son discours, Mohamed Morsi l'écoutait à peine, et menait des conversations à voix basse. «J'ai senti que cet homme avait du pouvoir», dit Mustapha al-Sayyid.

Les Frères musulmans ont été tantôt réprimés, tantôt tolérés par le régime Moubarak. Lors du soulèvement de 2011, ils ont tardé à se joindre au mouvement de protestation. Et une fois le dictateur déchu, ils ont longtemps juré qu'ils ne présenteraient jamais de candidat à la présidentielle.

Mais ils ont changé d'idée quand ils ont senti le vent tourner en leur faveur. Leur premier candidat, Khairat al-Shater, a été disqualifié en raison d'un récent séjour en prison. C'est là que Mohamed Morsi, qui dirigeait le parti des Frères musulmans, Liberté et justice, s'est retrouvé projeté sur le devant de la scène.

Élu par une mince majorité, il a connu une brève lune de miel, surtout quand il a fini par retirer le pouvoir au Conseil suprême de l'armée, qui dirigeait le pays depuis la chute du dictateur. Plus récemment, sa médiation dans la miniguerre de Gaza a renforcé sa stature de chef d'État. Du moins, à l'extérieur de l'Égypte. Car à l'intérieur, il a surtout déçu les attentes.

Ne serait-ce que parce qu'il n'a pas livré les réformes promises sous le slogan électoral de «renaissance». Mais aussi parce qu'il est rapidement apparu que ses discours rassurants, dans lesquels il se présentait comme un islamiste modéré et pluraliste, n'étaient... que des discours.

«Il y a un grand fossé entre ce que Morsi dit et ce qu'il fait», dit Mustapha al-Sayyid.

Ce dernier donne en exemple une série de nominations qui montrent que le président égyptien n'a d'égards ni pour les minorités religieuses ni pour les femmes. Son cabinet compte 32 ministres, dont seulement 2 femmes, et un seul chrétien copte. Morsi n'a pas nommé un seul copte comme gouverneur ou vice-gouverneur. Et il a donné une place écrasante aux islamistes au sein de la commission chargée de réécrire la Constitution du pays.

Le projet de Constitution que le président veut soumettre à un référendum le 15 décembre ne transformerait pas l'Égypte en une dictature islamique du jour au lendemain. Mais il ouvre la porte à une islamisation progressive, et pourrait avoir des conséquences sociales concrètes, telles que l'interdiction de servir de l'alcool dans les restaurants, des pressions vestimentaires sur les femmes, ou encore la séparation des sexes dans les universités, selon Mustapha al-Sayyid.

En essayant de contrôler les médias, Morsi s'est aliéné une grande partie des journalistes du pays. Son cafouillage constitutionnel l'oppose aux juges et diplomates qui refusent de superviser son référendum. En même temps, la vieille bureaucratie égyptienne, héritée de l'ère Moubarak, ne lui fait pas non plus la vie facile.

Mohamed Morsi ne possède pas l'éclat des grands hommes politiques qui peuvent traverser de telles épreuves par la force de leur charisme. «Il a des traits sévères et semble toujours en colère, il parle comme un imam», dit le journaliste Gamal Zayda.

Il y a une dizaine de jours, en pleine crise constitutionnelle, il a fait un discours «ennuyeux à mourir», estime Mustapha al-Sayyid.

Ce président terne et peu inspirant, que les Égyptiens soupçonnent d'exécuter les directives de ses guides religieux, se retrouve aujourd'hui dans une position de faiblesse. Il n'a pas le choix d'ouvrir la porte à un compromis. Il reste à savoir si cette ouverture sera suffisante pour remettre la jeune démocratie égyptienne sur les rails. Et éviter d'autres sanglants affrontements.