Minoritaire, le gouvernement de Pauline Marois a dû abandonner les changements radicaux qu'il envisageait pour la Charte de la langue française . Ainsi, le projet de loi 14 déposé mercredi ne prévoit pas d'empêcher les jeunes francophones et allophones de fréquenter un collège de langue anglaise. Très bonne chose.

Néanmoins, s'il était adopté tel quel, le projet de loi mettrait en place un régime tracassier et, sous certains aspects, vexatoire. Les PME et l'administration publique se verraient empêtrés encore un peu plus dans les règlements et la paperasse sans que cela n'améliore la situation du français au Québec.

Nous avons souvent écrit ici qu'à l'encontre de ce que prétendent le Parti québécois et des organisations nationalistes, les données de Statistique Canada et de l'Office québécois de la langue française (OQLF) ne montrent pas de recul de la langue française dans la province. Cependant, certains phénomènes, notamment l'utilisation croissante de l'anglais entraîné par la mondialisation, suscitent chez plusieurs citoyens une inquiétude légitime. L'Office disposait déjà de tous les pouvoirs requis pour intervenir de manière ciblée dans les commerces et milieux de travail où des problèmes faisaient surface. Par conviction et par nécessité politique interne, le PQ tenait à présenter un «renforcement» de la loi 101. Soit.

Le projet de loi 14 comporte quelques mesures porteuses. C'est le cas, en particulier, de l'obligation qui sera désormais faite aux jeunes étudiant en anglais de réussir un examen de français avant d'obtenir leur diplôme du secondaire et du collégial. Les jeunes anglophones et allophones seront les premiers bénéficiaires de cette exigence.

Suivant la Charte actuelle, un travailleur qui croit avoir été victime d'une violation de son droit à travailler en français peut s'adresser à la Commission des relations de travail, un tribunal spécialisé. Un tel recours est hors de la portée d'un employé non syndiqué. Le projet de loi 14 propose qu'un travailleur dépose plutôt une plainte à la Commission des normes du travail, une démarche beaucoup plus simple.

Malheureusement, d'autres dispositions du texte présenté à l'Assemblée nationale auront peu d'effet sinon d'imposer un fardeau bureaucratique supplémentaire à des milliers d'employeurs privés et publics. Par exemple, toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, devront «évaluer de façon rigoureuse les besoins linguistiques réels associés» à un poste avant d'exiger de celui qui l'occupe la connaissance de l'anglais. Que signifie «évaluer de façon rigoureuse» ? L'employeur devra-t-il suivre une démarche précise? Remplir une grille d'évaluation? Un formulaire? Les fonctionnaires sont-ils vraiment mieux placés que les employeurs pour déterminer les «besoins linguistiques réels» d'un poste?

Les entreprises comptant entre 26 et 50 employés devront évaluer la situation de français chez elles et, si des améliorations peuvent être apportées, prendre une série de mesures relatives à «la politique de mutation et de promotion», à la formation de ses employés, au «mécanisme de traitement des plaintes», etc. À la demande de l'OQLF, une entreprise devra rendre compte «du bien-fondé du diagnostic posé sur sa situation linguistique, de la pertinence des mesures de francisation identifiées, de leur mise en oeuvre et du suivi donné à celles-ci au sein de son organisation.» Exiger tout cela d'aussi petites entreprises nous semble déraisonnable.

Certaines des mesures mises de l'avant sont carrément abusives. On propose d'accorder au ministre chargé de l'application de la loi 101 de vastes pouvoirs d'enquête, semblables à ceux des commissions d'enquête. Le ministre pourrait convoquer des gens à témoigner devant lui. Ceux qui refuseraient pourraient être accusés d'outrage au tribunal. À Québec, on explique que d'autres ministres disposent de pouvoirs similaires et que la ministre Diane De Courcy n'a aucune intention de mener des enquêtes à la manière de la commission Charbonneau. Si c'est le cas, pourquoi ouvrir cette porte dans le projet de loi?

L'inquiétude est amplifiée à la lecture des pouvoirs donnés aux inspecteurs de l'OQLF. La personne déléguée par l'Office pourra «exiger la communication de tout livre, compte, registre, dossier ou document» et «saisir immédiatement toute chose dont elle a des motifs raisonnables de croire qu'elle est susceptible de faire la preuve de la perpétration d'une infraction» à la loi. On se croirait sur les lieux d'un meurtre!

Autre mesure vexatoire: le gouvernement pourra dorénavant retirer le statut bilingue dont jouissent, depuis l'adoption de la Charte, une centaine de municipalités et organismes municipaux. Ce statut, qui permet à ces municipalités un usage limité de l'anglais dans leurs communications (le français restant obligatoire et prédominant), pourrait être effacé dès que la proportion des anglophones glisse sous la barre de 50%. Pourquoi diable le gouvernement veut-il rouvrir cette boîte de Pandore? Le fait que Greenfield Park, Ayer's Cliff et le canton de Chichester peuvent afficher en anglais menace-t-il le statut du français au Québec?

Il faut donc que le projet de loi 14 fasse l'objet d'un important élagage. Forts de leur majorité à l'Assemblée nationale, les partis d'opposition sont en mesure d'amener le gouvernement à modérer ses ardeurs. Toutefois, ils devront travailler avec sérieux et doigté, comme l'exige toujours ce dossier délicat. Notamment, les libéraux devraient cesser d'agiter le spectre d'une «police politique de la langue», comme ils l'ont fait hier, faisant preuve d'une démagogie crasse. En fait, c'est moins d'une police que d'une bureaucratie de la langue qu'accouchera la nouvelle loi 101 si elle n'est pas amendée.