La semaine dernière, les données du recensement révélaient que, dans les neuf provinces anglophones, la proportion des gens qui parlent le plus souvent anglais à la maison est passée de 84,2 % à 83,7 % entre 2006 et 2011. Une baisse de sept dixièmes d'un point de pourcentage.

À ma connaissance, personne dans les médias de Toronto ou de Vancouver n'a parlé de déclin de l'anglais! Pour une raison bien simple. Comme l'immigration est importante, il est normal que la proportion de gens qui parlent des langues étrangères augmente et que, par voie de conséquence, la proportion de ceux qui parlent la langue de la majorité, dans ce cas-ci l'anglais, soit réduite.

On assiste exactement au même phénomène au Québec. En raison de l'immigration, la proportion de ceux qui parlent français le plus souvent à la maison est passée de 81,8 % à 81,2 %. Il va de soi que, même si les chiffres sont similaires et les causes identiques, le phénomène, aussi prévisible soit-il, suscite plus de réactions au Québec, parce l'anglais domine la planète et que le français est une langue minoritaire sur le continent.

Mais est-ce que cela justifie que l'on parle de déclin dans un cas et pas dans l'autre? Les mots ont un sens peu importe où l'on se trouve. On peut décrire ce que révèlent les données de Statistique Canada, comme une baisse, un recul, ou plus précisément comme une légère baisse de la proportion des francophones.

Le terme déclin, abondamment utilisé dans les médias, a un sens beaucoup plus lourd. Regardez le Robert: le déclin du jour, le déclin de la vie, le déclin d'un empire. Ce n'est pas neutre. Ce n'est pas une description, mais une conclusion. Dans le contexte linguistique, il ne devrait être utilisé que par ceux qui estiment que cette baisse modeste du poids des francophones risque d'être l'amorce d'un processus inexorable.

C'est manifestement la thèse des inquiets de la langue. Le Mouvement Québec français a parlé de «déclin considérable». L'ancien député péquiste Pierre Curzi a dit que «l'anglicisation se poursuit». Le ministre Jean-François Lisée, parlant de Montréal, affirme que «la proportion des francophones est en train de se marginaliser». Et le ministre Pierre Duchesne, pour ne pas être en reste, a lancé que «la pérennité de notre nation n'est pas assurée».

Les enjeux linguistiques, au Québec, portent sur les rapports entre le français et l'anglais. Les allusions à un déclin provoqué par l'immigration reposent sur la crainte que les nouveaux venus abandonnent en trop grand nombre leur langue au profit de l'anglais. Mais les données du recensement ne décèlent pas cette tendance.

C'est plutôt le contraire. Chez ceux dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais, le passage au français est en progression constante: 34,7 % en 2001, 38,6 % en 2006, 40,0 % en 2011. À l'inverse, la proportion de ceux qui choisissent l'anglais est en régression constante: 34,0 % en 2001, 31,6 % en 2006, 29,9 % en 2011.

Résumons. La proportion des francophones baisse un peu, de 81,8 % à 81,2 %. Leur nombre a augmenté de 259 000 en cinq ans. Leur pouvoir d'attraction face à l'anglais s'améliore. Pour pouvoir parler de déclin, il faut donc trouver autre chose. Les inquiets insistent donc sur l'île de Montréal, où les francophones sont devenus minoritaires, en excluant soigneusement de l'équation Brossard, Longueuil ou Laval.

L'utilisation abusive du terme déclin nous rappelle que ce dossier est lourdement politisé. L'arrivée d'immigrants en plus grand nombre pose des défis d'intégration dans toutes les grandes villes. Ils sont plus grands ici. Ils seront cependant plus faciles à relever avec un peu moins de théâtre, un peu moins d'enflure verbale et un peu moins de calculs politiques.