Il y a huit jours, le Liban a été secoué par son pire attentat politique depuis des années. La cible de cette attaque, Wissam al-Hassan, dirigeait le service du renseignement des forces de sécurité intérieures. C'est lui qui avait mis au jour les liens entre le Hezbollah, ce mouvement chiite libanais proche du régime syrien, et l'assassinat de l'ex-premier ministre Rafic Hariri. Lui aussi qui a fait arrêter plusieurs partisans de Bachar al-Assad au Liban. Pas plus tard qu'en août dernier, il a envoyé derrière les barreaux le politicien Michel Samaha, soupçonné d'avoir trempé dans une affaire d'attentats orchestrés à partir de Damas.

Bref, Wissam al-Hassan n'était pas précisément un ami du régime syrien. Faut-il en conclure que celui-ci a orchestré l'explosion qui lui a coûté la vie? Peut-être, mais pas sûr. Cet assassinat risque-t-il de précipiter le Liban dans une spirale de violence? Plusieurs le craignent. Mais la plupart des analystes croient qu'il n'y a pas de quoi paniquer.

Dans ce pays où chrétiens, musulmans chiites et sunnites vivent en équilibre précaire, «toutes les factions préfèrent garder un profil bas, personne n'a intérêt à jeter d'huile sur le feu», affirme Alain Gresh, rédacteur en chef adjoint du Monde diplomatique et spécialiste du Moyen-Orient.

Oui, le 19 octobre dernier, le Liban a connu son pire attentat depuis près de cinq ans. Mais la ligne rouge qui sépare la paix de la guerre n'a pas été franchie pour autant, selon cet expert qui était de passage à Montréal, cette semaine.

Un autre spécialiste de la région, Rami Khouri, politicologue à l'Université américaine de Beyrouth, est encore plus affirmatif. Cet attentat est «tragique, mais s'inscrit dans une séquence routinière», écrit-il dans un article publié cette semaine. Et selon lui, dans cette danse macabre avec la mort, les forces de l'ordre libanaises ont toujours choisi le camp de l'apaisement, plutôt que d'alimenter les flammes.

Pour le politicologue québécois Sami Aoun, qui se trouve en ce moment à Beyrouth, l'assassinat de Wissam al-Hassan pourrait constituer une «bombe à retardement». Mais en attendant, la balance penche en faveur du «calme actuel». Un peu comme si, ayant gardé en mémoire leurs 15 années de guerre civile, les Libanais savaient jusqu'où ne pas aller trop loin...

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Le Liban n'est donc pas sur le point d'être entraîné dans le bain de sang syrien. Du moins, pas encore. Mais l'explosion qui a retenti au coeur de Beyrouth ne peut pas non plus être dissociée de la tragédie qui se déroule de l'autre côté de la frontière, quelques dizaines de kilomètres plus à l'est.

C'est, à tout le moins, un indice supplémentaire du débordement de la guerre civile syrienne, au-delà des frontières de ce pays. Avec les 300 000 réfugiés syriens qui ont fui vers les pays voisins. Avec une exacerbation des tensions interconfessionnelles dans toute la région, tout particulièrement au Liban.

Mais aussi, avec l'argent et les combattants étrangers, de plus en plus présents sur le sol syrien. Dont les salafistes, ces sunnites radicaux venus prêter main-forte à l'Armée syrienne libre.

Selon un récent rapport de l'International Crisis Group, «exagérée par le régime de Damas, reconnue à reculons par l'opposition syrienne, la présence de salafistes est devenue irréfutable». Cette présence n'est pas dominante, mais elle n'est pas non plus anecdotique. Et elle «affecte de façon importante la situation sur le terrain».

Ces djihadistes ne forment pas un groupe uni, souligne Alain Greish. Ils ne poursuivent pas un objectif commun, nourrissent des rivalités internes. Et certains peuvent même se laisser pousser la barbe pour faire plaisir à leurs éventuels financiers. N'empêche: plus cette guerre civile dure, plus ces combattants étrangers risquent de peser lourd dans l'équation - et plus ce conflit risque de déborder.

Le soulèvement syrien a commencé de façon pacifique, avant de déraper dans le massacre que l'on sait. À cause de sa mosaïque confessionnelle particulière, la Syrie fait peur au monde. Même dans les capitales qui souhaitent la chute de Bachar al-Assad, cette perspective soulève des craintes. Alain Gresh cite l'exemple de la Turquie, qui appuie l'opposition syrienne. Mais qui, en même temps, n'a pas trop envie de voir sa minorité kurde s'allier avec les Kurdes syriens, une fois que la dictature syrienne se sera effondrée.

Quels autres spectres s'échapperaient alors de la boîte de Pandore syrienne? Instruite par l'expérience irakienne et afghane, la communauté internationale est déchirée. Faut-il en faire plus pour faire tomber Assad? Comme disent les Anglais: Damned if you do, damned if you don't...

Craignant que le conflit ne se radicalise et ne s'internationalise, le monde hésite. Résultat: la guerre civile s'étire. Et plus elle s'étire, plus elle se radicalise, et plus elle déborde au-delà des frontières de la Syrie. Tel est donc le paradoxe syrien. Moins on en fait, pire c'est. Mais ce pourrait être encore pire si on agissait davantage.