La volonté du gouvernement Marois d'augmenter les impôts des mieux nantis repose sur l'idée que les riches n'en paient pas assez. Le ministre des Finances Nicolas Marceau leur demande donc de faire leur «juste part».

«Cela va permettre de ramener un peu de progressivité dans notre régime fiscal qui en a beaucoup perdu au cours de la dernière décennie», a écrit dans ces pages l'ex-député bloquiste Pierre Paquette. Est-ce le cas? Peut-on dire qu'actuellement, la part des mieux nantis n'est pas juste?

Le PQ n'a pas fait cette démonstration. Sa décision ne repose pas sur une étude fouillée de la progressivité du régime fiscal, sur une démonstration de l'urgence de corriger le tir, sur un débat public structuré. Voici quelques réflexions pour alimenter une réflexion collective qui n'a jamais eu lieu.

Tout d'abord, des faits. Les 40 % des contribuables les plus pauvres ne paient pas du tout d'impôt. À l'autre extrémité, ceux dont les revenus sont supérieurs à 100 000 $ - ils sont 253 000, soit 4,1 % des contribuables - déclaraient 20,6 % de tous les revenus en 2009 et versaient 40,8 % de tous les impôts. Le fardeau des plus riches est - comme il se doit - nettement plus lourd.

Par ailleurs, cette progressivité ne s'est pas effondrée. Il y a eu deux grandes baisses d'impôt depuis 10 ans. En 2004, des baisses pour les citoyens à faibles revenus. En 2007, un relèvement des seuils d'imposition qui favorisait bien davantage les classes moyennes: une réduction de 16,9 % pour des revenus familiaux de 35 000 $, de 9 % pour 50 000 $ et de 4,6 % pour 125 000 $.

Il est absolument faux de dire que notre régime n'est pas progressif, ou qu'il y a eu un glissement qui exigerait un coup de barre.

On peut toutefois toujours se demander s'il est assez progressif. On entre alors dans un débat difficile sur la définition de la «juste part», qui comporte nécessairement une composante idéologique. Les républicains américains prétendent qu'il faut baisser l'impôt des riches pour favoriser l'investissement. Le régime cubain prône plutôt la confiscation.

Mais les comparaisons peuvent nous aider. Le professeur Luc Godbout a cosigné une étude montrant que le régime fiscal québécois était plus progressif que celui de tous les pays du G7. Les classements internationaux montrent par ailleurs qu'avec le taux marginal d'imposition maximum de 55,2 % proposé par le PQ, le Québec, actuellement au 11e rang mondial, serait propulsé au 4e rang, après le Danemark, le Cameroun et la Suède. Est-ce cela qu'on veut?

On peut toujours augmenter le fardeau des plus riches. Et il y a sans doute encore du jeu au Québec. Mais, dans la recherche du niveau optimal, il faut tenir compte de l'environnement, du contexte, des besoins. Le Danemark a la Suède comme voisine. Le Québec a l'Ontario. Avec les mesures proposées, un Québécois ayant des revenus de 200 000 $ paierait 10 000 $ de plus qu'un Ontarien. À 400 000 $, l'écart passe à 25 000 $.

Il faut aussi tenir compte des impacts potentiels des mesures fiscales. Quand le fardeau fiscal est trop élevé, les gens peuvent choisir de moins travailler, de moins investir, de déménager. Leur réaction dépendra en partie de facteurs de nature morale. Les plus riches accepteront de payer davantage s'ils trouvent que la ponction est éthiquement acceptable. Une étude intéressante du CIRPÉE sur le sujet, en 2006, avait comme coauteur nul autre que Nicolas Marceau!

Or, ce qui caractérise le débat sur les hausses annoncées par le gouvernement Marois, c'est la rupture de ce contrat éthique implicite. L'absence de démonstration, l'absence de besoins criants, sinon tenir une promesse électorale, le caractère odieux de la rétroactivité, ainsi que les allusions blessantes sur la juste part ont compromis la légitimité dont un régime fiscal a absolument besoin.