Devant nous, au bout de la grande table du 4e étage où nous faisons les rencontres éditoriales, c'était bien Jean Charest, bon teint, bonne mine après un mois de campagne, la répartie vive, un brin cabotin et aussi à l'aise avec les chiffres pour vanter son bilan qu'avec les formules-chocs pour attaquer ses adversaires.

C'était bien Jean Charest, mais plus l'entrevue progressait, plus j'entendais distinctement la voix rauque d'Édith Piaf: «Non, rien de rien, non je ne regrette rien...»

Visiblement, l'expression mea-culpa ne fait pas partie du vocabulaire du chef libéral. On l'a vu lors des débats, Jean Charest est mû par une confiance inébranlable et par une capacité innée à relancer le blâme sur les autres, même s'il doit retourner 15 ans en arrière pour critiquer leurs décisions. Ses partisans y voient détermination et force de caractère, mais plusieurs autres perçoivent plutôt de l'arrogance.

Évidemment, il n'est pas facile, et toujours délicat, pour un politicien de s'excuser ou de reconnaître une erreur, mais une petite dose d'humilité de la part d'un dirigeant est généralement bien perçue par les électeurs. Surtout après neuf ans de pouvoir, dont une dernière année particulièrement mouvementée.

Pas question de se faire harakiri, seulement un petit pas en arrière pour dire j'aurais dû faire ceci, cela, ou encore, nous aurions pu mieux faire.

La seule petite admission de Jean Charest, en plus d'une heure d'entretien avec une dizaine de journalistes et d'éditorialistes de La Presse: «Nous n'avons pas vu venir la crise étudiante», dit-il, en s'empressant d'ajouter: «Mais personne ne l'avait vu venir...»

Y a-t-il quelque chose qu'il aurait fait différemment pour désamorcer cette crise? «J'ai cherché en mon âme et conscience [sans trouver]», dit Jean Charest, se lançant derechef dans l'énumération des gestes posés par son gouvernement pour tenter de calmer le jeu durant les mois chauds du printemps.

Même inébranlable assurance dans tous les dossiers abordés autour de la table.

Quelques exemples:

«La prime salariale cachée de 75 000 dollars que lui a versée son parti pendant 10 ans, était-ce une erreur?

-Nous ne le ferons plus, mais cela a été fait de bonne foi», répond le chef libéral.

«Pourquoi refusez-vous encore aujourd'hui de blâmer votre ancienne ministre Nathalie Normandeau, qui a accepté des billets d'un entrepreneur pour un spectacle de Céline Dion? Admettez-vous, au moins, que c'était une erreur de jugement?

-J'ai toujours eu confiance dans le jugement de Mme Normandeau. Pour le reste, elle s'est expliquée...»

«Vous avez dit que Tony Tomassi, lorsqu'il était ministre de la Famille, a fait un excellent travail? Vous le croyiez vraiment?

-M. Tomassi n'est pas parti à cause des places en garderies, mais pour une histoire de compte de dépenses.»

«Les odeurs de corruption qui pèsent sur votre gouvernement nuisent-elles à votre campagne?

-Ce sont des tactiques de nos adversaires, qui ont un impact sur toute la classe politique. Nous avons posé beaucoup de gestes [contre la corruption].»

«Pourquoi ne pas avoir attendu que la commission Charbonneau commence ses travaux avant de déclencher des élections, ce qui aurait permis d'avoir des faits et de clarifier certaines affaires plutôt que d'avoir des allégations, comme celles lancées par Jacques Duchesneau?

- Le gouvernement n'a aucun contrôle sur les travaux de la commission et tout le monde réclamait des élections.»

Échantillon incomplet des réponses de M. Charest, mais vous avez une idée du ton de cette rencontre, par ailleurs très détendue et courtoise, ponctuée de quelques charges de M. Charest contre ses adversaires et de quelques blagues sur La Presse et ses journalistes.

Du Charest classique, plutôt drôle, à l'aise et même convaincant, notamment lorsqu'il parle d'environnement, de relations internationales (en particulier entre le Québec et l'Europe) et de développement économique.

Je l'ai déjà vu plus combatif, toutefois. Et je crois savoir pourquoi. En fait, il a lui-même mis le doigt sur le bobo: l'usure du pouvoir.

Que les électeurs «se posent la question du changement après neuf ans» [avec le même gouvernement], c'est «légitime», admet Jean Charest.

Il y a près de 10 ans, dans cette même salle, le prédécesseur de Jean Charest, Bernard Landry, se désolait lui aussi devant l'équipe éditoriale de La Presse de l'inéluctable effet de l'usure du pouvoir. Et encore, M. Landry pouvait se consoler: le taux de satisfaction des Québécois envers son gouvernement oscillait entre 50 et 55%. Celui du gouvernement Charest est collé sous les 35% depuis plus de deux ans.

M. Charest admet par ailleurs que beaucoup de Québécois partagent la position ni-ni de François Legault, c'est-à-dire ni souverainiste ni fédéraliste, mais il ajoute que c'est irresponsable de la part du chef de la CAQ.

«Un chef ne peut être neutre, il doit prendre position, fulmine M. Charest. Être assis sur une clôture pendant quatre ans, ça fait mal!»

Malgré une remontée récente de la CAQ, Jean Charest est formel: François Legault ne sera pas premier ministre.

Et lui, après presque 30 ans en politique, a-t-il commencé à penser à une réorientation de carrière?

«Non, je n'ai rien d'autre à l'horaire que d'être encore premier ministre le 4 septembre.»