Pour une fois, je partage votre sentiment: Mme David a été brillante lors du débat des chefs. Je m'en étonne moins que vous, je la connais un peu, je ne l'ai jamais vue autrement que brillante, limpide dans l'exposé de ses idées et aussi ferme que courtoise à les défendre.

Il s'en est trouvé pour dire que les choses avaient été plus faciles pour elle, que les trois autres l'avaient ménagée et gnagnagna. Il s'agissait pourtant moins d'elle que de Québec solidaire et, au-delà, de toute la gauche confrontée dans ce débat à la realpolitik des trois autres.

La grande victoire de Françoise a été de parler autrement de justice sociale, de gratuité scolaire, de santé publique et surtout d'économie, et d'être entendue par des centaines de milliers de gens, non pas comme une idéologue, non pas comme une extraterrestre, mais comme une Juste, pour reprendre la définition de Gil Courtemanche, qui l'avait empruntée à Camus: le Juste est celui qui place au coeur de son action la défense du plus faible.

Ils étaient trois à dire la même chose dans ce débat, tout en se chicanant sur les modalités, mais essentiellement ils disaient la même chose: nous vivons dans le meilleur des systèmes possibles, élisez-nous pour qu'il soit meilleur encore. Sereinement, Françoise leur a répondu: ce n'est pas vrai, ce n'est pas le meilleur des systèmes possibles.

Une victoire, donc, comme la gauche n'en remporte plus souvent, ce qui ne veut pas dire qu'elle se traduira en votes pour Québec solidaire, peut-être même pas pour Françoise dans Gouin.

Mais c'est une victoire quand même, aussi douce que la lumière de cette fin d'été, une rare victoire remportée sur l'idéologie du moment.

LES TROIS AUTRES - Je fais partie du très petit nombre que le sourire narquois de M. Charest n'irrite pas. Il ne me déplaît pas non plus qu'il soit impudent. Bref, en général, j'aime bien M. Charest. Je parle de la manière, bien sûr, pas du fond.

Sauf que des fois, il devient cheap sans bon sens. Comme dans le conflit étudiant, comme lorsqu'il méprise «la rue» sans voir qu'il inclut dans son mépris le peuple et la culture qui en sont issus. Pour revenir au débat, il l'a perdu sans honneur quand il a brandi ce moisi rapport Moisan dont plus personne ne se souvient, exhumé seulement pour shooter de la marde dans le ventilateur, comme ça il sera pas tout seul à puer.

Dé-so-lant.

Mme Marois? Bof, Mme Marois. Si évidemment collée à son plan de match. Si frileuse en tout. Et quel faiseur d'image lui a donc conseillé de faire des mines et des petites façons? La voilà qui n'arrête plus de se tordre la bouche pour parler droit, comme si elle était déjà élue.

Il faudra plus qu'un rapport Moisan à M. Charest pour renverser une tendance, et il faudra plus à Mme Marois que de la prudence - je la vois bien se faire doubler sur la ligne par M. Legault.

M. Legault, donc, que couronnerait cette grande bête d'opinion publique si entichée de propreté et des hommes de ménage qui la lui promettent.

DE L'UTILITÉ - J'ai dit dans une autre chronique que j'allais voter pour la résistance, et vous êtes quelques-uns à avoir compris que j'allais prendre le maquis dans les forêts de la Haute-Yamaska. La Résistance à laquelle vous pensez prend une majuscule. La mienne relève de la volonté minuscule d'affirmer encore un peu mon opposition à la façon dont sont menées les affaires du monde.

Mais pas seulement. Résister à l'idée même de l'utile, qui nous mène, de petits renoncements en petits renoncements, au reniement de nous-mêmes. Je suis effrayé par la place de l'utilitaire dans ces débats entre gens qui aspirent à nous gouverner - en fait, du peu de place de la culture, qui ne sert à rien, comme chacun sait.

La place du goût, la place du beau et du laid, son enseignement, du moins l'art de voir, s'apprend. L'idée que nos enfants soient endettés, effrayant, épouvantable. Mais qu'ils ne fassent pas la différence entre le beau et le laid, l'apparence et le contenu, qu'est-ce qu'on s'en crisse. La place du paysage. Imaginez ce qu'on dirait d'un candidat qui proposerait un débat sur le paysage.

On vit pourtant de paysage, de beauté, de lumière de fin d'été, de silence. Imaginez un candidat qui proposerait un débat sur le silence.

J'ai dit que j'allais voter pour le parti de la résistance, mais c'est seulement parce qu'il n'y a pas encore de parti de l'inutile.

LA SOLITUDE - De cela aussi j'ai parlé l'autre fois, mais il semble que je n'ai pas été clair. Quand le maire Tremblay a dit ce qu'il a dit «sur ces gens-là qui viennent d'Algérie et dont on n'est pas capable de prononcer le nom», la moitié du Québec a fait hon... Et Mme Marois de se dépêcher d'annoncer que, élu, le PQ n'aurait rien de plus pressé que de mettre en chantier une charte de la laïcité.

L'autre moitié du Québec s'est aussitôt emparée de cette promesse comme si c'était une menace. Hein? Quoi? Une charte de la laïcité? L'espace d'un instant, la question est devenue: pour ou contre une charte de la laïcité?

Il y a de ces moments où je me sens comme sur la Lune. Je veux dire, tout seul. Quand le maire Tremblay a dit ce qu'il a dit, cela ne m'a pas fait un pli. Je sais qu'au fond du baril croupissent des légions de culs-bénits et qu'ils ont le bec des suceurs cuivrés, ces poissons en voie d'extinction, au bec configuré pour téter dans la vase.

Quand le PQ, et plus particulièrement Jean-François Lisée, que j'ai déjà lu là-dessus, parle d'une charte de la laïcité, cela ne me fait pas un pli non plus. Ce sera une charte consensuelle et interculturaliste dans l'esprit de la commission Bouchard-Taylor.

Et j'irais voter utile pour ça?