Quelque part vers la fin de la dernière campagne fédérale, au printemps 2011, les libéraux de Michael Ignatieff ont compris qu'ils étaient vraiment cuits au Québec lorsqu'ils ont vu leur traditionnelle base anglophone-allophone déserter leur parti au profit du Nouveau Parti démocratique de Jack Layton dans des circonscriptions qu'ils croyaient sûres jusqu'à la fin des temps.

Une telle chose pourrait-elle arriver aux libéraux provinciaux, eux qui s'inquiètent aussi d'une certaine désaffection de cet électorat d'ordinaire captif?

En bref, la réponse est non. Les scènes politiques fédérale et provinciale sont différentes. Les partis en lice et les enjeux aussi.

Pour le moment, il n'y a pas péril en la demeure pour le Parti libéral du Québec (PLQ) dans ses bastions de l'ouest et du nord de Montréal. Mais le vétéran Henri-François Gautrin, député libéral de Verdun, a raison de se préoccuper de la désaffection d'une clientèle tenue pour acquise depuis trop longtemps.

M. Gautrin a fait ce commentaire jeudi matin, le jour où le plus récent sondage CROP-La Presse a démontré une hausse spectaculaire des intentions de vote pour la Coalition avenir Québec (CAQ) chez les non-francophones. De 8% à 20% en une semaine, cela ne démontre pas encore une tendance, mais certainement un mouvement d'humeur.

Fidèles au Parti libéral, les anglophones se sont rebellés contre lui en 1989 lorsqu'ils ont élu quatre députés du Parti égalité. Les circonstances étaient toutefois bien différentes. Il n'y a pas de crise d'affichage commercial (du moins, pas comme celle qui a secoué le gouvernement Bourassa en 1988) ni de grands débats constitutionnels, ces temps-ci, contrairement à la fin des années 80. On sent toutefois clairement un ras-le-bol dans cette communauté. Ils ont beau être fédéralistes pour la plupart, les anglophones ne sont pas imperméables aux histoires de corruption et de magouilles. Et puis certains en ont marre d'être tenus pour acquis dans des circonscriptions qui votent invariablement libéral. Le taux de participation électorale anémique dans les circonscriptions de l'Ouest (autour de 40%) est, en soi, un indicateur du manque d'enthousiasme envers le PLQ.

La différence avec 1989, c'est que, au lieu de se replier sur eux-mêmes avec un parti bien à eux, certains anglophones songent à se rallier à la CAQ, menée par un ancien ministre péquiste. Ce n'est pas rien. Même Robert Libman, ancien chef du Parti égalité, encourage les anglophones à voter pour la CAQ.

Adil D'Sousa est un autre anglo qui en a assez du monopole du PLQ. Le jeune enseignant ne sait pas encore pour qui il votera mais, chose certaine, ce ne sera pas pour le parti de Jean Charest, qu'il juge usé, corrompu, arrogant et méprisant.

M. D'Sousa et quelques amis ont d'ailleurs lancé un site internet intitulé quebecagainstcorruption.weebly.com, ce qui en dit long sur ce qu'ils pensent du PLQ.

On lit ceci sur la page d'accueil: «Dans ces élections, les anglophones et les allophones ont un choix intéressant: nous pouvons continuer de voter pour le même parti - corrompu et qui tient nos votes pour acquis - ou nous pouvons voter différemment.

«Ces élections ne sont pas un référendum pour sortir ou rester au sein du Canada, ce sont des élections sur l'honnêteté en politique, ce dont manquent certains partis.»

On ajoute que les anglophones et allophones ont trois possibilités: voter pour un parti corrompu, voter pour un autre grand parti ou considérer les programmes des plus petits partis.

«Je ne suis militant d'aucun parti, me dit Adil D'Sousa, mais ça me désole de voir que les gens de ma communauté votent toujours pour le même parti qui nous méprise. Jean Charest nous voit comme une communauté monolithique qui ne pense qu'au référendum. Encore maintenant, il dit qu'un vote pour la Coalition avenir Québec, c'est un vote pour le Parti québécois (PQ). C'est encore la tactique de peur.»

Adil D'Sousa estime que «voter toujours pour le même parti, à la fin, c'est comme ne plus voter». Il croit que sa communauté devrait tourner le dos aux libéraux.

«Le PQ ne m'inquiète pas, ajoute-t-il. Les jeunes anglos sont beaucoup moins inquiets que leurs parents et grands-parents, mais le PLQ ne joue que sur cette peur, c'est toujours la même chose.»

M. D'Sousa a montré son site internet à Robert Libman, qui a bien aimé, et l'Association étudiante du cégep Dawson l'a relayé sur sa page Facebook. On est toutefois encore loin d'un mouvement de masse, admet-il.

«J'ai du mal à faire passer mon message dans les médias anglophones...»

Appuyer la CAQ n'est peut-être pas si étrange pour les anglophones.

Un peu de politique-fiction: le PQ gagne, la CAQ forme l'opposition officielle, le PQ déclenche un référendum. Qui est chef du camp du Non?

Le chef de l'opposition, François Legault?

Loufoque? Pas tant que ça. En cas de référendum, il faudrait bien que François Legault, quoi qu'il en dise aujourd'hui, choisisse son camp.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca