Plus une action est déprimée, plus les hauts dirigeants d'une entreprise cotée en Bourse ont des chances de faire éventuellement un coup d'argent! Et ce, tout en ne courant aucun risque.

Comment? Grâce au généreux régime d'options d'achat d'actions. Plus le cours de l'action est faible, plus le prix d'exercice des options est bas, plus les dirigeants ont ainsi la chance d'encaisser un plantureux profit.

Pendant le temps de la déprime, les actionnaires, eux, liquident à perte ou prennent leur mal en patience, tout en courant un énorme risque.

Un exemple tout chaud: les dirigeants de Rona, notre plus grand quincaillier canadien.

Le titre de Rona est sur la déprime depuis l'été 2007, soit depuis cinq ans. En mars 2007, l'action de Rona s'était négociée dans une fourchette allant 22,79$ à 24,40$. Des options avaient été émises aux dirigeants le 8 mars 2007 à un prix d'exercice de 23,58$.

Après avoir piqué du nez, l'action de Rona ne se négociait plus en mars 2008 que dans une fourchette allant de 13,00$ à 14,37$, en chute libre de quelque 40%. Convenons que les actionnaires ont mangé par le fait toute une claque, du moins sur papier. Mais les dirigeants de Rona, eux, se sont fait accorder des blocs d'options à un prix de levée (ou d'exercice) de 14,18$.

Pourquoi je parle du mois de mars? Parce que chez Rona, c'est en mars que la haute direction se fait annuellement attribuer des blocs d'options et le prix de levée desdites options est toujours basé sur le cours de l'action négociée durant cette période-là.

En mars 2009, la chute se poursuit, alors que le titre se négocie entre un bas de 10,16$ et un haut de 12,35$. Le conseil d'administration de Rona attribue à ce moment-là à ses dirigeants des blocs d'options à un prix de levée de 10,62$.

Mars 2010, Rona réussit à redresser son action. Celle-ci fluctue de 15,20$ à 16,10$. Des blocs d'options sont alors accordés à un prix d'exercice de 15,44$.

Un an plus tard, Rona retombe en déprime, l'action se négociant en mars 2011 de 13,71$ à 14,87$. Cela donne la chance aux dirigeants de se partager de nouveaux blocs d'options à un prix d'exercice plus bas, soit à 14,33$.

La déconfiture boursière de Rona s'est amplifiée par la suite, l'action chutant en novembre 2011 jusqu'à un creux de 8,64$. Cela a permis aux hauts dirigeants de Rona de recevoir, le 5 mars 2012, d'autres blocs d'options à un prix de levée cette fois de seulement 9,38$, soit le plus faible prix d'exercice des cinq dernières années.

Comble de chance! C'est en mars dernier, lorsque le titre est à son plus bas niveau des cinq dernières périodes d'attribution de blocs d'options depuis 2007, que le conseil d'administration accorde la plus grande quantité d'options à ses dirigeants. Ces derniers ont mis le grappin sur un nombre total de 471 100 nouvelles options, à un prix de levée de seulement 9,38$. À lui seul, le président et chef de la direction, Robert Dutton, a reçu 98 400 options de cette cuvée.

Les deux autres hauts dirigeants les plus récompensés sont: Luc Rodier, premier vice-président, détail, qui en a obtenu 53 300, et Dominique Boies, premier vice-président et chef de la direction financière, qui en a reçu 37 200. À son arrivée en septembre 2011, M. Boies avait obtenu un bloc de 60 000 options, au prix de levée de 9,97$.

Déjà, au début du mois de mars dernier, des rumeurs couraient que la multinationale américaine Lowe's pouvait souhaiter faire l'acquisition de Rona.

On connaît la suite. Lowe's a dévoilé son intérêt en lançant le 31 juillet dernier une tentative d'OPA (offre publique d'achat) sur le quincaillier québécois en offrant un prix d'achat de 14,50$ l'action.

Ce qui a eu pour effet de faire exploser le cours de l'action jusqu'à 14,49$. Le titre se négocie aujourd'hui tout près de la barre des 14,00$.

Ainsi, à lui seul, le nouveau bloc d'options de mars 2012 permet aux dirigeants de Rona d'engranger sur papier un gain de 2,1 millions de dollars. Un autre bloc de 412 350 options vaut un gain sur papier de 1,5 million.

Bien entendu, vous aurez compris que les blocs d'options ayant des prix de levée supérieurs au cours actuel de l'action de Rona n'ont encore pas de plus-value. Mais quand le risque de pertes n'existe pas, c'est facile de garder le moral.

Pour les gens qui ne sont pas familiers avec les régimes d'options sur actions des entreprises, voici en résumé comment ça fonctionne. Le dirigeant ne court aucun risque avec ses options. Si le prix de levée (ou d'exercice) de l'option (généralement d'une durée de vie de 10 ans) demeure au-dessus du cours de l'action, le dirigeant laissera tout simplement mourir l'option. Le dirigeant fera un coup d'argent si l'action se négocie à un prix supérieur au prix d'exercice de l'option. À ce moment-là, le dirigeant exercera son option en déboursant le prix de levée X et obtiendra en échange les actions qu'il revendra sur le marché à un prix plus élevé. C'est ainsi qu'il encaissera un profit, lequel sera basé sur l'écart entre le prix de levée des options et le prix de revente des actions obtenues.

Que les options permettent aux dirigeants des entreprises inscrites en Bourse de s'enrichir sans jamais courir de risques, ça fait partie de la Bourse. Là où le système boursier devient indigeste pour les actionnaires, c'est quand les conseils d'administration gratifient davantage leurs dirigeants avec les régimes d'options pendant que l'action est sur la grande déprime.

Et comble d'ironie, les options exercées auront un effet de dilution sur le capital-actions! Et vlan! pour les actionnaires.